Par Firmaın Éric MBADINGA
La France a annoncé, dimanche soir, la suspension de son aide au développement et son appui budgétaire au Burkina Faso.
Le nouveau défi qui se présente à la junte est de pouvoir assumer les charges à court et moyen terme, alors que les militaires au pouvoir ont promis de transmettre dans un délai raisonnable le pouvoir aux civils.
Pour Mays Mouissi, expert en questions économiques, ce qu’il il faut considérer en premier, c'est caractère provisoire de la mesure. Selon l’économiste gabonais, cette situation peut évoluer à tout moment en fonction des tractations diplomatiques entre la France et le Burkina Faso.
Et concernant les effets de cette suspension, Mays Mouissi soutient qu'à court terme, cette mesure ne fera rien de plus que peut-être retarder l’exécution de certains projets au Burkina Faso.
‘’Il faut dire que l’impact tel qu’il sera ressenti sera assez mineur notamment au niveau des populations parce que le Burkina Faso ne vit pas au jour le jour avec cet argent qui vient de l’aide au développement ’’ affirme l'économiste à TRTAfrika.
Et l'analyse faite par le gabonais est rejointe celle du Dr Daniel Ouédraogo, économiste principal à la Fondation Afro, originaire du "Pays des hommes intègres".
En effet, le Dr Daniel Ouédraogo soutien que cette mesure ne devrait pas avoir des effets chaotiques, car le Burkina Faso a connu des précédents quasi similaires.
En 2022, juste après le coup d’État qui avait déposé le président Roch Marc Christian Kabore, le pays a fait l'objet de sanctions américaines.
Et avant ce coup d’État, les États-Unis étaient le plus grand donateur international à ce pays, avec près de 213 millions de dollars rien que pour l’année 2020. L’appui des États-Unis se déclinait sur le plan humanitaire, sous forme d'aide au développement, et sous forme d’assistance militaire.
S’agissant de l’enveloppe que la France vient de fermer temporairement, elle est estimée à 482 millions d'euros. Cette somme comprend l’ensemble des projets financés par le gouvernement français. Certains projets étant en cours.
Malgré cette suspension du financement de la France, le Dr Ouédraogo croit que le Burkina Faso peut continuer à financer lui-même son développement.
La mobilisation des fonds internes
À l'en croire , depuis le coup d’État de 2022, les différentes juntes qui se sont succédées ont mis en place un système de mobilisation de fonds internes qui ont permis jusqu’ici au pays d’avoir les ressource nécessaires afin de couvrir les couts budgétaires du pays. Il cite notamment les nouvelles taxes qui font partie de ‘’l’effort de guerre’’.
'’Cette suspension de la France, à mon avis, ça ne va par faire grand-chose’’ dit-il soulignant qu’en plus du contexte sécuritaire qui a conduit le pays à se refermer sur lui-même et à penser à ses propres mécanismes de survie, des facteurs exogènes et endogènes comme la COVID-19 et même les premières sanctions américaines, ont renforcé la résilience économique des autorités burkinabés.
'’ Pour mobiliser les fonds, en tenant compte de la menace terroriste qui a même chassé les agriculteurs de leurs champs, les autorités locales ont ciblé des secteurs stratégiques en mettant l’accent sur les niches disponibles dans les grandes villes. Elles ont instauré des taxes dans les secteurs de la téléphonie mobile par exemple. Dans les grandes villes, les gens ne peuvent plus se passer de téléphones'’ explique le Dr Ouédraogo.
Ce dernier, toujours en matière de nouvelles taxes initiées par la junte, évoque aussi celle sur le foncier qui est en vigueur depuis un moment et qui s’applique sur chaque contrat de bail.
L'ensemble de ces mesures s'inscrit dans la nécessité des États à pourvoir s'autonomiser pour faire face ''aux jours sombres'' comme le note Mays Mouissi.
"La problématique de l’aide au développement au Burkina Faso comme ailleurs, c'est de savoir comment les états arrivent à s’organiser même dans des contextes tourmentés comme c’est le cas au Burkina Faso pour avoir une certaine indépendance de ce point de vue" estime Mays Mouissi.

À côté de ces nouvelles taxes, il ya la création de nouveaux métiers qui génèrent, eux aussi, des entrées dans les caisses de l’État, lui permettant de s'en sortir, si possible sans aide extérieure.
Les ressources qui découlent de l’E-commerce sont également à prendre en compte. Le Dr Ouédraogo explique que l’activité de transfert d’argent mobile a créé de nouveaux métiers et génère selon lui de la richesse pour les populations, ce qui apporte donc, par effet domino, une plus-value sur les recettes de l’état.
Dans le secteur secondaire, le Dr Ouédraogo souligne les efforts des autorités sur les 3 dernières années, "d’investir dans le secteur de l’agro-industrie, malgré la crise sécuritaires, des unités de transformation ont été créées dans le pays. ''
"Ils ont lancé le concept d’actionnariat populaire pour fiancer des industries locales. Il y a eu plusieurs projets qui ont été lancés et les retombés de ces projets se font progressivement voir" détaille-t-il.
Les sanctions qui boostent le développement
Alors que ces sanctions pourraient être perçues uniquement sous l’angle punitif, la description de la situation au Burkina, faite par certains comme le Dr Ouédraogo suggère qu'elles ont poussé les autorités à renforcer les outils d’une indépendance économique.
Daniel Ouédraogo pense que facteurs tels que les privations liées à la guerre en Ukraine ou les contraintes liées à la COVID-19, sans oublier le terrorisme, ont renforcé la prise d'initiatives à la fois des populations et des autorités.
''Lorsque vous êtes dos au mur et que vous voulez continuer à avancer, il vaut mieux voir du positif dans ce qui vous arrive. Après avoir mentionné tous les chocs et pressions internes et exogènes, les populations et les dirigeants burkinabés sont obligés de se réorganiser. Et prenant le cas du Burkina Faso, pour le peu de choses que j'ai pu voir, il y a quelques bases qui ont été posées pour favoriser une résilience économique du pays'' avance-t-il.
'' Néanmoins, il faut reconnaître que l’accompagnement d’un partenaire extérieur est toujours essentiel pour un pays pauvre, mais comme le Burkina semble poser ses propres jalons structurels, un scénario catastrophe n’est pas forcément l'issue à prévoir'' nuance le Dr Ouédraogo.
À travers des organes comme l’Agence France de Développement, l'aide au développement de la France au Burkina Faso était axé sur les secteurs de l’éducation, de la formation, de l’hydraulique et de l’assainissement, de l’énergie ou encore de l’agriculture.