Les soldats du groupe militaire privé Wagner sont de plus en plus visibles sur le continent/ Photo AA

Par Awa Cheikh Faye

La présence du groupe paramilitaire russe Wagner en Afrique suscite des interrogations et des préoccupations croissantes de la part des organisations internationales, des gouvernements africains et des puissances étrangères.

Wagner est accusé de mener des opérations illégales, de violer les droits de l’Homme et de perturber la stabilité des pays africains où il est présent.

Que fait Wagner en Afrique francophone et quelles sont les implications politiques, économiques et sécuritaires de cette présence ?

Nouvel allié dans la lutte contre les groupes armés en Centrafrique

La Centrafrique est confrontée à une crise sécuritaire extrêmement profonde, qui perdure et s’est retrouvée à un moment dans une situation où elle était complètementdésarmée.

« C’est beaucoup plus une crise interne, une crise communautaire que le pouvoir n’arrivait plus à la gérer. Et l’armée centrafricaine était devenue une armée qui n’avait plus de moyens pour faire face à cette crise. Et c’est pourquoi la Centrafrique avait d’abord fait appel aux partenaires traditionnels afin que ces derniers l’aident à armer les FACFA (Forces armées centrafricaines) » explique Hassane Koné de l’Institut d’Etudes de Sécurité (ISS Africa) à TRT Afrika.

« Mais l’aide n’est pas venue. Et c’est la volonté de diversifier les partenariats qui explique qu’elle a tendu la main à la Russie » poursuit-il.

De 2013 à ce jour, la Centrafrique est sous le coup d’un embargo sur les armes imposé par, une mesure qui toutefois ne s’applique plus aujourd’hui aux livraisons d’armes et de munitions, de véhicules et de matériels militaires destinées aux forces de sécurité centrafricaines.

Selon Docteur Moumouny Camara, enseignant- chercheur en Science de l’Information et de la Communication à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar «l’arrivée de Wagner dans la région coïncide aussi avec une période de perte d’influence de la France dans la sous -région couplé à un bilan mitigé des opérations militaires françaises sur le continent ayant entraîné une rupture de confiances avec les populations, en particulier les jeunes ».

L’expert en sécurité Hassane Koné, lui , déclare que le partenaire traditionnel qu’est « la France n’a pas répondu aux défis sécuritaires auxquels font face les pays africains ».

Allégations de violations des droits de l’homme

Si les mercenaires du groupe Wagner continuent de jouer un rôle important dans la formation des FACA et la coordination de leurs activités en Centrafrique, « ils ont agi indépendamment des forces étatiques dans au moins 50% des événements liés à des faits de violence politiques chaque mois depuis mai 2021, à l’exception d’octobre 2021 et d’avril et de juin 2022 » affirme l’ACLED (Armed Conflict Location andEvent Data Project), un organe de collecte et d’analyse de données désagrégées et de cartographie des crises.

Anicet Kyancem membre de la société civile centrafricaine rétorque à TRT Afrika que « des soldats français de l’opération Sangaris ont aussi été mis en cause dans un rapport de l’ONU pour abus sexuels sur des mineurs en Centrafrique en 2014 ».

De retour d’une mission de 10 jours au Mali, l’expert de l’ONU sur la situation des droits de l’Homme dans le pays Alioune Tine a accusé les mercenaires de Wagner de « terroriser » la population.

L’ACLED avait de son côté recensé « près de 480 décès de civils attribuables à des opérations menées conjointement par les forces du groupe Wagner et celles de l’État malien » dans un rapport publié sur son site.

Des allégations rejetées en bloc par la junte malienne qui a par la même occasion nié toute alliance avec le groupe Wagner.

Bien que le gouvernement malien n’ait jamais reconnu officiellement des liens ou une quelconque coopération avec la société militaire privée, nombres de rapports d’enquêtes font état d’activités de Wagner dans le pays mais surtout de violations des droits des civils au Mali.

Une offensive diplomatique et économique

Le groupe Wagner a débuté ses activités en République centrafricaine en 2018, suite à la signature entre les gouvernements centrafricain et russe d’un accord prévoyant un soutien militaire et des armes russes bien que Moscou ait en de multiples occasions précisé n’avoir aucun lien avec la société privé.

Docteur Moumouny Camara, pense qu’il soit officiel ou officieux, ce partenariat représente une victoire diplomatique pour Moscou, mais pas seulement.

« Il s’agit surtout d’ouvrir le marché africain aux entreprises russes.. » précise-t-il. Et pour cause, Moscou n’a pas fait mystère de son ambition de reconquérir le marché africain.

En 2019, un sommet Afrique-Russie avait réuni le président russe Vladimir Poutine et plus de 40 dirigeants africains pour parler coopération, de commerce en particulier.

Bien que les relations commerciales entre la Russie et l’Afrique soient encore faibles, Moscou mise plus que jamais sur le secteur politico-sécuritaire.

À Bangui, l’on ne se fait aucune illusion, le soutien de Wagner dans la lutte contre les groupes armées a un prix.

« Il faut savoir que c’est un pays qui regorge de beaucoup de ressources naturelles et que bon voilà, ça peut intéresser les russes parce que nous avons de l’or partout et là où il y a la présence du groupe Wagner, c’est là où il y a la présence des groupes armés qui exploitent les ressources naturelles de la RCA notamment l’or et le diamant, et on le sait, mais on se dit que si c’est ce qu’il faut donner en contrepartie de la sécurité du pays autant mieux le faire » souligne Anicet Kyancem.

Comment la présence de Wagner est-elle perçue sur le continent ?

Des rumeurs de la présences du groupe paramilitaire au Burkina Faso ont circulées un temps avant d’être tuées dans l’œuf. Ouagadougou a en effet clairement fait savoir qu’il ne coopère avec personne pour le moment, précisant vouloir assurer la lutte contre le terrorisme sur son territoire par ses propres moyens, tout en n’excluant pas la possibilité de rechercher les « moyens » de cette lutte antiterroriste auprès de différents futurs partenaires.

Du point de vue d’Annicet Kyancem, la sécurité des populations et leur liberté de vaquer à leurs occupations prime sur toute autre considération.

« Simple citoyen que je suis, j’ai envie de me déplacer, aller dans mon village et revenir voir la population aller aux champs. Suivez la terre, c’est parce qu’on est un pays pauvre. On est conscient de ça et nouveau. Il faut la liberté de circulation des déplacements à l’intérieur de notre pays. Et si les le groupe peut nous assurer ce déplacement? En fait, on est pour, on est preneur » dit-il à TRT Afrika.

L’expert en sécurité Hassane Koné estime que l’accès à un armement de qualité a pesé dans les relations bilatérales ces dernières années entre les pays africains aux prises avec des crises sécuritaires et leurs partenaires traditionnels.

« Aujourd’hui ces nouveaux partenaires que sont la Russie, la Chine, la Turquie, le Brésil, ces pays-là vendent plus facilement des armes à nos pays, les livrent plus facilement, à des prix plus abordables et sans aucune des contraintes que posent les pays occidentaux » dit-il à TRT Afrika.

L’expert préconise toutefois le renforcement et la consolidation des armées nationales notamment en investissant dans l’équipement et dans la formation des forces de défenses et de sécurité nationale.

« Sous-traiter la sécurité n’est pas durable. L’emploi de mercenaires aggrave la situation d’instabilité de violence et de troubles» tranche Hassane Koné.

Il souligne par ailleurs l’importance d’allier l’approche sécuritaire à une stratégie politique et socio-économique cohérente pour venir à bout du djihadisme, du grandbanditisme et des troubles communautaires qui nourrissent l’instabilité dans la région.