La Turquie devrait jouer un rôle central dans la reconstruction de l'économie syrienne après l'effondrement du régime d'Al-Assad au début du mois.
En 61 ans de règne du parti Baath, les progrès économiques de la Syrie ont été gravement entravés, laissant le pays avec des indicateurs économiques détériorés et des défis majeurs, y compris une inflation galopante et une balance commerciale perturbée.
Grâce à sa position stratégique reliant l'Asie, l'Europe et l'Afrique, la Syrie est aujourd'hui prête pour une reprise économique potentielle, en particulier dans le domaine du commerce.
L'année dernière, la Turquie, l'une des plus grandes économies de la région, a importé pour 363,5 millions de dollars de produits syriens et exporté pour 2 milliards de dollars de produits vers le pays.
Les industriels sont conscients des perspectives qui se présentent pour l’accroissement de la coopération commerciale entre la Turquie et la Syrie, en particulier dans les domaines de l'agriculture, de la construction et de l'énergie.
Les 11 zones de sécurité de la Syrie, avec une zone supplémentaire prévue pour Idlib, offrent également aux investisseurs étrangers la possibilité d'établir des sociétés avec 100 % des capitaux propres dans des zones industrielles organisées.
Le redressement nécessite une stabilité politique et un soutien international
Ali Mamouri, chercheur à l'université Deakin en Australie, concède que le chemin de la reconstruction de la Syrie serait loin d'être facile à court terme.
"Un nouveau gouvernement devrait donner la priorité aux efforts de stabilisation pour restaurer la confiance du public, attirer les investissements étrangers et reconstruire les infrastructures essentielles. Toutefois, la reprise dépendra fortement de la cohésion politique interne, du soutien des acteurs internationaux et de la réponse de la région", explique-t-il.
Pour cet universitaire, il est nécessaire que le nouveau gouvernement élabore un plan de relance global et prenne des mesures immédiates pour stabiliser la monnaie nationale.
"La destruction des infrastructures a gravement affecté l'économie", a-t-il rappelé. "La reconstruction des routes, des centrales électriques et des réseaux de communication sera essentielle pour relancer l'activité économique et créer des emplois”.
En outre, note-t-il, il s’agit de satisfaire les besoins humanitaires, notamment l'accès à la nourriture, à l'éducation et aux soins de santé, au cours du processus de reconstruction.
"Alors que les sanctions politiques et économiques resteront probablement en place pendant un certain temps, la Syrie devra peut-être négocier avec les puissances régionales et les organisations internationales pour obtenir de l'aide humanitaire, des prêts et des accords commerciaux", a préconisé Mamouri pour qui la levée des sanctions devrait être la première priorité du pays pour aller de l'avant.
Il a noté que les réserves de pétrole et de gaz naturel de la Syrie pourraient jouer un rôle essentiel dans son redressement, tout en faisant remarquer que des années de guerre civile ont considérablement réduit la production, ce qui nécessite des investissements substantiels et une certaine stabilité pour relancer le secteur de l'énergie.
Il a également souligné l'importance de reconstruire le secteur agricole syrien, autrefois florissant, en particulier dans les régions fertiles proches de l'Euphrate.
En outre, Ali Mamouri a suggéré que le tourisme, soutenu par le riche patrimoine culturel de la Syrie, devienne une autre source de revenus importante, tout comme la revitalisation d'industries telles que le textile et l'agroalimentaire pour stimuler l'emploi et les exportations.
Mamouri a ajouté que la situation stratégique de la Syrie lui permet de servir de point de transit clé dans le réseau commercial est-ouest, reliant l'Irak, la Jordanie, la Turquie et l'Europe.
Le rôle de la Turquie dans la reconstruction de la Syrie
Ali Mamouri a noté, en se basant sur un rapport de l’UNICEF, que le budget de la Syrie pour 2023, s'élève à 5,88 milliards de dollars, soit 256 dollars par habitant, ce qui représente "moins d'un quart de son niveau de 2011".
Le budget de la Syrie est actuellement dans une situation désastreuse, avec une capacité limitée à générer des revenus en raison du conflit en cours, des sanctions économiques et de la destruction généralisée des infrastructures, selon lui.
Alors que le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale n'ont pas apporté leur soutien à la Syrie en raison de la guerre et des sanctions en cours, a-t-il poursuivi, "si un nouveau gouvernement est établi, il devra probablement se concentrer sur la mobilisation du soutien régional et international pour la reconstruction et la stimulation de la croissance".
En ce qui concerne l'implication de la Turquie, Ali Mamouri a estimé que l’expertise de ce pays voisin de la Syrie en matière de construction, de développement d'infrastructures et d'opportunités d'investissement serait déterminante pour le redressement de la Syrie.
"Les entreprises turques pourraient participer à la reconstruction des infrastructures syriennes, notamment dans les domaines de l'énergie, des transports et des télécommunications ; en outre, la Syrie pourrait participer aux projets de la Turquie concernant le transit régional de l'énergie du Qatar vers l'Europe. Par exemple, la Turquie pourrait bénéficier d'une coopération accrue dans les domaines du commerce et de l'énergie, en fournissant une porte d'entrée pour les ressources énergétiques régionales", a-t-il noté.
L'aide internationale est cruciale pour le redressement de la Syrie
Victor Tricaud, analyste principal au sein de la société de conseil Control Risks, basée au Royaume-Uni, a dit s’attendre à ce que l’instabilité dont pâtit l'économie syrienne, en particulier depuis 2019, persiste dans les mois à venir.
"Le facteur déterminant pour une éventuelle reprise sera la fourniture d'une aide internationale et la levée des sanctions -- ou au moins l'introduction d'exemptions -- pour permettre aux capitaux étrangers de financer la reconstruction", a-t-il fait remarquer, notant que la productivité de la Syrie a souffert des décennies de régime autoritaire.
Selon Victor Tricaud, le défi le plus urgent pour le nouveau gouvernement sera de maintenir l'activité économique, notamment en assurant la continuité des services publics et de la sécurité.
Il a recommandé qu'un éventuel gouvernement intérimaire s’attèle à rétablir les mécanismes de collecte des impôts et réduire la corruption, ce qui permettrait de générer des revenus importants, notamment grâce aux droits de douane, une fois les frontières rouvertes. Les entreprises publiques pourraient également contribuer à stabiliser les recettes.
"Pour autant que la transition reste ordonnée, que les sanctions soient levées ou que des exemptions soient introduites, et que l'aide économique étrangère soit mobilisée, y compris auprès des grandes banques multilatérales de développement, les entités régionales qui cherchent à participer à la reconstruction de la Syrie bénéficieront probablement d'un accès à des projets d'infrastructure à grande échelle financés par les acteurs du développement".
"En outre, les acteurs étrangers auront probablement accès à des opportunités d'investissement présentant des rendements potentiels élevés, étant donné le potentiel économique largement inexploité du pays après des années de croissance économique bloquée", a-t-il ajouté.