Dans une interview exclusive avec TRT World, le ministre turc des Affaires étrangères Hakan Fidan a souligné que les défis existentiels de l'Europe – de la guerre en Ukraine aux conflits au Moyen-Orient, en passant par le désengagement potentiel des Etats-Unis – l'ont obligée à redécouvrir la Turquie comme un allié clé.
“Nos amis européens redécouvrent les mérites de la Turquie”, a déclaré Fidan à TRT World, dimanche en marge de la Conférence de Munich sur la sécurité.
Le chef de la diplomatie turque a expliqué que depuis son arrivée au pouvoir Trump remet en question le système international lui-même et estime que les Etats-Unis donnent plus qu’ils ne reçoivent, provoquant une onde de choc à travers le monde et une rupture avec l’Europe.
Alors que les pays européens sont de plus en plus conscients de leurs vulnérabilités stratégiques dans un contexte de crises persistantes, notamment la guerre en Ukraine et l’instabilité au Moyen-Orient, ils espèrent que la fracture est temporaire, mais restent prudents dans leur démarche d’adaptation à cette dynamique changeante, a déclaré Fidan.
“C’est un signal d’alarme pour le monde entier”, a averti le responsable turc qui a souligné que l’évolution du paysage géopolitique oblige les nations à repenser les alliances traditionnelles et à s’adapter aux nouvelles dynamiques de pouvoir. "Ils voient que la Turquie est un partenaire fiable et solide", a ajouté Fidan.
Il a souligné que sous le leadership du président Recep Tayyip Erdogan, la Turquie a relevé les défis en matière d’infrastructures et de superstructures et a renforcé sa base industrielle de défense et de commerce – le tout sans recevoir des centaines de milliards de fonds de l’Union européenne.
Guerre d'Ukraine
La guerre en Ukraine a été l’un des thèmes centraux de la Conférence de Munich sur la sécurité. Notant que les deux parties croient désormais à la nécessité d'un cessez-le-feu, Fidan a déclaré qu'un grand pas en avant avait été réalisé. "Je connais des acteurs très intéressés qui n'ont jamais voulu entendre le mot cessez-le-feu", a-t-il indiqué à TRT World.
Fidan a réaffirmé la volonté de la Turquie de contribuer par tous les moyens nécessaires à la paix et à la reconstruction en Ukraine. “Mais avant tout, nous devons avoir un cessez-le-feu. Et nous avons besoin d’un plan de paix viable et à long terme”, a-t-il souligné.
Pour Fidan, la tâche difficile à laquelle s’attellent actuellement les États-Unis et l’Europe qui se sont désormais réunis pour travailler à un plan de paix, “comporte de grands défis”.
Commentant le rôle limité de l’Europe dans le processus de paix, Fidan a fait valoir que les parties européennes méritaient un siège à la table des négociations, tout en soulignant que la Turquie avait également sa place légitime dans les pourparlers et qu’Ankara pouvait apporter davantage que de nombreux autres acteurs.
“Cela se produit dans notre voisinage immédiat… Et nous entretenons des liens étroits des deux côtés”, a noté Fidan.
Il a toutefois reconnu l’éventualité de “choix amers” en ce qui concerne des concessions potentielles concernant l’intégrité territoriale de l’Ukraine. .
“Dans un monde idéal, nous aimerions que l’intégrité territoriale (de l’Ukraine) soit préservée. Mais nous sommes en temps de guerre”, a-t-il souligné, ajoutant que seul le temps dira si la médiation américaine sera suffisante pour amener la Russie et l’Ukraine à un compromis.
Syrie, lutte contre le terrorisme
Lors de l’interview, Fidan a en outre souligné les inquiétudes de la Turquie concernant la présence étendue de l’organisation terroriste PKK en Syrie, où la nouvelle administration donne également la priorité à la lutte contre les groupes armés.
“Je pense que peu de gens savent que le PKK occupe un tiers de l’ensemble du territoire syrien et dispose de ressources énergétiques très importantes dont le reste de la population syrienne a cruellement besoin”, a-t-il fait remarquer.
Décrivant le PKK comme une menace existentielle non seulement pour la Turquie mais aussi pour les Kurdes de Syrie, d’Irak et d’Iran, Fidan a déclaré : “Dans aucun État, nous ne pouvons avoir de groupes armés qui ne rendent pas compte au gouvernement central”.
Il a également souligné l’importance de l’appropriation régionale dans la lutte contre le terrorisme, y compris contre une éventuelle résurgence de Daesh, mettant en garde que les interventions étrangères entraînent souvent de nouvelles complications.
"Maintenant, il est temps de mettre fin aux activités terroristes de Daesh et du PKK", a lancé Fidan, appelant à un effort collectif pour "se débarrasser de ce virus".
Guerre à Gaza
Commentant la crise humanitaire à Gaza, en Palestine, Fidan a déclaré qu’il y avait enfin “une lueur d’espoir” avec un cessez-le-feu en cours. Il a toutefois exprimé son scepticisme quant à sa pérennité.
"Tous les indicateurs suggèrent malheureusement que (le Premier ministre israélien Benjamin) Netanyahu n'a pas l'intention de poursuivre le cessez-le-feu", a-t-il déclaré, avertissant que Tel Aviv pourrait reprendre la guerre une fois tous les otages récupérés.
Fidan a appelé l’administration Trump à revendiquer ses responsabilités et à faire pression sur Israël pour qu’il n’engage pas une nouvelle escalade, affirmant que “cela devrait appartenir à Trump et à son administration de prévenir un autre génocide, d’autres crimes contre l’humanité”.
Autrement, les promesses électorales de Trump sur l’arrêt des guerres étrangères et des pertes de vies humaines “resteraient lettre morte”, a-t-il conclu.