À plus de 90 ans, l'ancien tirailleur sénégalais Oumar Dieme considère comme un miracle le fait de porter la flamme olympique lors de l'ouverture des Jeux de Paris cet été.
À l'ombre des manguiers et des cotonniers, il raconte son passage dans les "tirailleurs sénégalais", un corps de tirailleurs africains qui ont combattu pour la France pendant les deux guerres mondiales et les différentes luttes de décolonisation.
Le boubou traditionnel de Dieme, orné d'une médaille, évoque son service dans l'ancienne Indochine française, puis en Algérie, et rappelle ceux qui ne sont jamais rentrés dans leur pays.
"De nombreux collègues sont restés sur place. D'autres sont revenus mutilés (où) ne sont plus de ce monde", dit-il, sa casquette bleue ornée d'un grade de sergent.
Le seul survivant
Dieme explique qu'une vingtaine d'hommes de son village de Badiana, dans le sud de la Casamance, ont servi dans le corps des Tirailleurs sénégalais jusqu'à sa dissolution dans les années 1960.
Il a ajouté qu'il faisait partie des "chanceux".
"Je suis le seul survivant. C'est un miracle que j'aie été choisi", a-t-il raconté, entouré de membres de sa famille et de bâtiments en ruine.
Dieme a été choisi pour être l'un des porteurs de la flamme olympique lors de son passage dans le département parisien de la Seine-Saint-Denis pour l'ouverture des Jeux à la fin du mois de juillet.
Les organisateurs ont accepté la candidature du département, où Dieme vivait avant son retour au Sénégal en 2023.
Les tirailleurs oubliés
"Le choix d'Oumar Dieme contribue à l'indispensable travail de mémoire, car les tirailleurs sénégalais ont été trop longtemps oubliés dans notre mémoire collective", a déclaré à l'AFP Stéphane Troussel, président du département de Seine-Saint-Denis.
Dieme n'avait jamais entendu parler de la flamme olympique, mais a tout de même accepté.
"Compte tenu de mon âge, j'aimerais être accompagné de mon fils", a-t-il déclaré.
Dieme fait partie des milliers de soldats nés dans les anciennes colonies françaises d'Afrique à avoir combattu dans le corps des Tirailleurs sénégalais, créé en 1857.
Il s'est engagé le 6 mars 1953, après avoir quitté la Gambie voisine où son père, un imam, l'avait envoyé pour étudier le Coran.
Il a servi en Indochine
Les recruteurs ont donné à Dieme la date de naissance du 31 décembre 1932, ce qui lui donne 20 ans à l'époque, mais il pense qu'il a au moins deux ans de plus.
Il s'est porté volontaire pour aller en Indochine, où la France, puissance coloniale soutenue par les États-Unis, luttait contre le mouvement indépendantiste Viet Minh soutenu par la Chine.
Il avait vu "des gens revenir avec des médailles et des décorations, j'aimais ça", a-t-il déclaré.
Dieme a raconté comment il avait vu 22 hommes de sa compagnie tomber dans une embuscade et comment l'encerclement de Dien Bien Phu l'avait empêché, lui et ses collègues, de s'y rendre avant la défaite décisive des troupes de l'Union française en 1954.
De retour dans son pays, Dieme repart en 1959, cette fois pour la guerre d'Algérie.
L'indépendance du Sénégal
C'est là qu'il apprend l'indépendance du Sénégal par rapport à la France en 1960.
Dieme est rapatrié et réengagé dans l'armée sénégalaise, avant de prendre sa retraite à 36 ans et de travailler comme agent de sécurité à l'université de Dakar et comme coursier de banque jusqu'en 1988.
Dieme s'est ensuite installé à Bondy, au nord-est de Paris, où lui et d'autres anciens tirailleurs ont mené une nouvelle bataille, cette fois contre l'État français.
Il a fini par obtenir la nationalité française et, en 2023, le gouvernement a permis aux tirailleurs restants de continuer à percevoir la pension minimale sans avoir à passer la moitié de l'année en France.
Tout le monde m'aime
Dieme est ensuite rentré au Sénégal, où il partage son temps entre son village et la capitale Dakar, où vit l'une de ses deux épouses et la mère de plusieurs de ses enfants.
"Je suis très heureux d'être avec ma famille. (En France), j'étais confiné dans une pièce de 17 mètres carrés. Je ne voyais personne. Dans ce village, tout le monde m'aime", a-t-il déclaré avec un large sourire.
Si Dieme a pu porter la flamme olympique, c'est grâce aux efforts d'Aissata Seck, conseillère municipale à Bondy et présidente d'un groupe commémorant les tirailleurs.
"C'est un beau symbole, encore plus aujourd'hui avec la situation actuelle extrêmement difficile et la banalisation du racisme sur les réseaux sociaux. Il montre la richesse et la diversité de la France", a-t-elle déclaré.