Par Firmain Eric Mbadinga
En plus de leur couleur noire et de leurs cheveux crépus qui les font très vite remarquer sur le marché du genre, les poupées que conçoit et fabrique Ayabavi Atohoun se distinguent parce qu'elles parlent une pléthore de langues d'origine africaine.
Et c'est principalement sur ce dernier élément qu'Ayabavi dame le pion à une concurrence provenant de certains grands labels occidentaux qui ont, eux aussi, commencé à intégrer la couleur noire dans la fabrication de poupées, dans un contexte où les critiques se faisaient de plus en plus grandes.
Dans un article qui porte sur les poupées noires, Helène Migerel, psychanalyste, docteur en Sciences Humaines, rappelle qu'en 1993, Andy Walker la première poupée noire, moderne, faisait son apparition aux États-Unis sous des traits physiques authentiquement africains.
Après cette première présentation de poupée moderne noire en 1993, la poupée Cécile Rey sortira sous un autre label américain en 2011 pour pérenniser une approche qui connaîtra une plus grande demande sociale, notamment de la communauté afro-américaine impulsée par le mouvement Black Lives Matter en 2020.
L'offre d'Ayabavi Atohoun qui est installée en France, à travers sa structure Beautifull Darkness (belle noirceur), semble donc en adéquation avec les besoins d'une inclusion sociétale, interculturelle et interraciale.
Pour la plupart, les poupées des différentes collections d'Ayabavi portent le nom d'illustres personnages de l'histoire et de la culture africaine. '' La marque a été créée suite à la frustration personnelle après avoir voulu acheter une poupée noire à une de mes nièces. La poupée, que je trouvais vraiment belle, n'était disponible qu'aux États-Unis et à un prix élevé. Je me suis rendu compte qu'on n'avait pas le choix, ou que le peu de choix possible, se payait à prix d'or.
De plus, la plupart de ces poupées disponibles là-bas avaient des traits caricaturés tels que de grosses lèvres, ou des pieds salles'' explique Ayabavi Atohoun, à TRTAfrika. Ayabavi, ingénieur en télécommunication de formation, a donc décidé de changer l'image des Noirs dont elle n'appréciait pas totalement la représentation à travers les poupées.
Le besoin ressenti par la béninoise d'acheter une poupée noire à sa nièce correspond un peu à ce que la guadeloupéenne Helène Migerel, décrit comme ''L’objet d’identification''.
Selon la psychanalyste, l’ADN authentifie les liens familiaux. Helène Migerel explique que ''l’enfant a la moitié des gènes de sa mère, la moitié des gènes de son père. Le bébé poupée devrait avoir une ressemblance avec sa mère.
Des générations ont aimé et se sont identifiées à leur poupée blanche, valorisant un phénotype très éloigné de leur groupe d’appartenance, au détriment du leur .Ainsi s’est renforcé le système d’aliénation du point de vue de la dévalorisation de soi transmise, véhiculant les séquelles de la période de l’esclavage et de ses affres. '' conclut-elle.
Afin d'offrir un certain choix à d'autres parents, Beautifull Darkness qui a officiellement lancé, sur fond propre, sa production en 2019, a mis sur le marché une première série composée de plusieurs modèles de poupées noires.
Après cette sortie réussie et des retours encourageants du point de vue sociétal, mais aussi financier, un an plus tard, Ayabavi Atohoun et ses équipes auront l'idée de faire parler à ces poupées noires aux traits un peu plus esthétiques, des langues africaines.
''Nous avons commencé avec 7 langues africaines et actuellement, nous en sommes à 15 en plus du français, de l'anglais, le créole et le martiniquais. '' précise Ayabavi Atohoun à TRTAfrika. Les langues africaines comprennent le Bambara, Fongbé, le Lingala, le Mina, le Mooré, le Wolof, le Yoruba, le Swahili. Ces poupées parlent également le Fang, le Peulh, Baoulé,le Malinké, le Sango, le Dioula et le Douala.
Beautifull Darkness indique que les options linguistiques de ces poupées s'étendent à 80 phrases construites sur une base de près de 400 mots. Et les phrases prononcées par ces poupées contribuent à construire auprès des enfants un amour-propre et une confiance en soi.
'' J'ai moi-même édité les phrases que je voulais que les poupées disent. Il s'agit de phrases valorisantes, car l'adulte de demain se crée à travers l'enfant d'aujourd'hui. Ces poupées peuvent dire : je suis belle comme toi, je suis intelligente comme toi, je suis une femme brave, courageuse. Elles peuvent aussi chanter des comptines '', détaille Atohoun.
Le nouveau défi auquel Ayabavi Atohoun dit faire face aujourd'hui est celui du devoir de réinvention pour une clientèle très courtisée et très exigeante. '' Il ne faudrait pas que les parents se disent qu', il ne s'agissait que d'un effet de mode parce qu'avec le mouvement Black Lives Matter, tout le monde était intéressé par la cause noire. Or, nous, on était là bien avant.
J'essaie donc de tout faire pour montrer aux parents que ce n'est pas qu'un effet de mode, mais plutôt une habitude normale d'acheter une poupée noire à son enfant. '', souligne avec emphase l'entrepreneur de 28 ans. Le principal marché de Beautifull Darkness se situe pour le moment dans la diaspora africaine, avec une base qui se renforce en France où est né le projet, aux États-Unis où le concept est très soutenu, et au Bénin, le pays d'origine d'Ayabavi Atohoun où elle a déjà ouvert une première boutique.
Fort de son tempérament dynamique, Ayabavi croît et s'active pour ouvrir d'autres boutiques dans des pays comme la Côte d'Ivoire, le Sénégal et bien d'autres Africains afin de participer à sa manière à la valorisation de la culture et de l'identité africaine.