Par Charles Mgbolu
Il ne suffit que de de quelques secondes pour se laisser séduire par les vidéos de danse TikTok représentant des mascarades africains aux costumes colorés, acclamés par une foule en ébullition.
Dans l'une de ces vidéos, publiée sur le compte TikTok de @Kru_Krou, du Liberia, on voit des tambourinaires battre des tambours indigènes en peau de mouton et faire sonner des gongs en fer, en synchronisation avec un homme déguisé qui saute et amortit sa chute d'un puissant coup de pied, suivi d'une danse vicieuse dans laquelle les plumes attachées à sa taille s'agitent à une vitesse vertigineuse.
Dans la mythologie africaine, les déguisements sont considérés comme une représentation physique des dieux traditionnels vénérés par les adeptes de la tradition, car ils sont considérés comme porteurs de chance de la part du royaume des esprits.
"Les mascarades sont pures et sacrées", déclare Christopher Okereke, un spécialiste de la tradition du sud-est du Nigeria. Elles métamorphosent les humains qui les portent en entités surnaturelles. Elles constituent le fondement de la culture africaine et nous distinguent en tant que peuple du reste du monde", explique-t-il à TRT Afrika.
Mais les tendances occidentales brouillent les pistes et ces figures sacrées et traditionnelles, autrefois vénérées comme des dieux, figurent aujourd'hui en tête des plateformes de médias sociaux telles que TikTok, le plus souvent à des fins de divertissement.
Vue sur les médias sociaux
Les mascarades qui dansent sur TikTok sont visionnées des millions de fois et partagées au-delà des réseaux sociaux de TikTok, et de nombreux mèmes sont créés à partir de ces vidéos.
"Vous verrez une mascarade boire de l'alcool en public ou être en contact avec des femmes qui dansent. Personnellement, je dis à tous ceux qui veulent bien m'écouter que ce ne sont pas de vraies mascarades, parce qu'aucune vraie mascarade africaine ne fera jamais cela", explique M. Okereke à TRT Afrika.
Ses inquiétudes semblent fondées, car certaines vidéos vont du ridicule au carrément bizarre : des mascarades se prosternent devant les politiciens et implorent de l'argent, tandis que d'autres, ivres de stupeur, trébuchent sur la route sous les moqueries des passants.
Certaines vidéos sont mises en scène dans le but d'obtenir des audiences sur les réseaux sociaux, ce qui a déclenché un débat parmi les passionnés de culture. Ils se demandent si la puissante signification culturelle des mascarades africaines n'est pas en train d'être anéantie par les tendances modernes des médias sociaux.
"Ma grande crainte est que la jeune génération grandisse avec l'idée que c'est ce qu'une mascarade africaine devrait vraiment représenter, mais c'est une vision tellement déformée. Les mascarades ne se produisent jamais dans le but de gagner de l'audience sur les réseaux sociaux", a-t-il souligné.
Ses propos sont toutefois vivement contestés par Patrick Adigwe, un créateur de contenu culturel sur Facebook.
"La culture s'adapte à l'époque dans laquelle nous vivons, et c'est une preuve que notre culture en tant qu'Africains ne mourra jamais parce qu'elle se fusionne avec des réseaux sociaux", explique M. Adigwe à TRT Afrika.
C'est l'occasion de rejoindre la nouvelle génération là où elle se trouve, c'est-à-dire sur les réseaux sociaux. Nous devrions nous réjouir que cela éveille leur curiosité. La génération Z (la nouvelle génération) pose désormais des questions et en apprend davantage sur ses racines dont elle n'aurait peut-être jamais cru qu'elles existaient sans les réseaux sociaux.
"Les mascarades jouent différents rôles", explique M. Okereke. "Oui, elles peuvent aussi divertir, mais il faut veiller à ne jamais utiliser une mascarade destinée uniquement à des exercices spirituels de base et à porter son masque pour danser sur TikTok ; c'est là que les jeunes TikTokers se perdent, et c'est ce qui doit être corrigé de toute urgence pour protéger leurs valeurs culturelles", affirme-t-il.
Le pour et contre les mascarades sur Tiktok est un exercice d'équilibre sensible.
Pour la pérennité culturelle, la génération montante doit s'approprier le patrimoine africain, mais elle ne le fera que si l'on s'adresse à elle dans une langue qu'elle maîtrise.
Cependant, elle doit fermement apprendre à avancer avec prudence, car il serait inutile d'essayer de sauver un symbole culturel qui n'a plus le moindre sens culturel.