Par Firmain Eric Mbadinga
Lamine Dieme et Tyty Louis Essongue sont deux africains séparés l'un de l'autre par des milliers de kilomètres, et sont deux personnes qui ne se connaissent pas du tout.
Lamine est à Dakar au Sénégal et Tyty Louis est à Libreville au Gabon. Pourtant, leur passion commune pour le dessin les rapproche à presque tous points de vue.
En effet, Lamine et Tyty sont deux auteurs de bande dessinée qui donnent vie à des personnages noirs, qui permettent, à travers leurs couleurs et leurs formes, de plonger dans un univers imaginaire africain.
Comme des centaines de dessinateurs africains de leur époque, Lamine et Tyty s'investissent chaque jour un peu plus pour que le dessin, particulièrement la bande dessinée africaine, ait une signature africaine qui arrive à convaincre tous les publics à travers le monde.
À Dakar, les dessins de Lamine qui sont animés autour des thèmes de société tels que la politique ou l'économie sont très commentés, et sa signature très vite reconnue sur ses réseaux sociaux ou dans les rubriques qui lui sont consacrées par certains organes de presse écrite.
En plus de la bande dessinée, Lamine fait de la caricature , du graphisme et du dessin d'animation.
Les personnages qui prennent vie sous les crayons de Lamine sont très souvent présentés dans un style réaliste qui permet facilement de savoir à qui l'auteur fait allusion dans la réalité.
Le niveau technique qu'a atteint Lamine Dieme aujourd'hui est la résultante d'une passion découverte très tôt et pour laquelle ce dernier s'est ensuite investi.
'' Ça a commencé très tôt chez moi, car mon père est dessinateur, il est designer de tissu wax, donc le dessin est en quelque sorte dans la famille.
La bande dessinée a toujours été au tour de moi. Je prenais de mes petites économies pour aller acheter des mangas, des bandes dessinées américaines et françaises" explique Lamine à TRTAfrika.
Si Lamine a fait le choix d'une production qui peut réagir à l'actualité tout comme elle peut être appréciée sous forme d'œuvres de fiction proposées dans des albums, Tyty lui qui reste tout aussi engagé, s'investit plus dans la fiction.
Dans ce registre, le Gabonais de 29 ans a collaboré sur 7 projets et a produit sous son propre nom deux bandes dessinées, à savoir ''Dans l'ombre du soleil'' et ''Rendjegho''.
Dans la dernière bande dessinée citée, qui a été publiée par les éditions Welafric'art en 2021, Tyty dont les personnages sont dessinés avec des traits qui renvoient à l'univers des mangas japonais, raconte l'histoire de Rendjegho; un jeune homme qui veut venger la mort de sa petite sœur suite à un accident de circulation, suivi d'un délit de fuite.
Après sa vengeance, le héros de l'histoire ne semble pourtant pas trouver satisfaction, ce qui le conduira dans une chasse permanente contre tous les autres criminels de sa ville. Comme Lamine, l'amour pour le dessin et la bande dessinée a été favorisé pour son cadre de vie immédiat, surtout par un proche. Pour Tyty Louis, ce proche ne sera pas son père, mais plutôt sa mère qui comme le père de Lamine travaille dans l'univers de la mode.
''Je pense que j'ai toujours aimé le dessin, car ma mère, elle aussi, étant couturière, dessinait des croquis que j'ai toujours vus depuis mon enfance. Mais c'est grâce à ma tante, la meilleure amie de ma mère, que je suis tombé dans la bande dessinée. C'est elle qui m'avait offert 'l'encyclopédie des aventures de Tintin'. C'est la première bande dessinée que j'ai eue entre les mains" fait savoir Tyty Louis Essongue.
C'est donc aux côtés de sa mère, qui faisait office de muse pour lui, et inspiré de cette première bande dessinée, que Tyty fera ses premières esquisses, loin du regard de son père qui au départ ne voyait aucun avenir dans le dessin.
À la différence de son confrère gabonais, Lamine, la quarantaine, a plus été compris par son père que par sa mère, lorsqu'il décide de quitter l'école pour se consacrer au dessin. Pour essayer de convaincre son fils de revenir sur sa décision, la mère confiera la mission à son frère de raisonner son neveu.
Lamine qui ne reviendra pas sur sa décision, va choisir de s'inscrire dans un studio d'animation en dessin animé à Dakar.
'' Quand j'étais à l'école primaire, j'aidais déjà les enseignants et même les directeurs à faire les dessins de l'établissement. J'aidais aussi mes amis en classe à faire leurs dessins'', précise Lamine.
Après avoir fait ses premières classes, Lamine qui est originaire de la Casamance dans le sud du Sénégal, évoque dans ses œuvres la culture des peuples de cette région ou encore la culture wolofe, quand il ne s'agit pas de faits d'actualité.
Parti de simples dessins collectionnés dans un carnet qui faisait office de petit journal, Lamine basculera du dessin à la bande dessinée à proprement parler, en côtoyant au cours d'une formation du genre des devanciers de la bande dessinée.
Lamine est entre autres l'auteur ''Nenne Bébé Amine'', publiée en 2009, disponible en wolof et en français, '' Caquette'', sortie en 2016, qui sont tous deux des livres illustrés pour enfants, ou encore de la bande dessinée ''Lendemain Noir, parue en 2020.
'' 'Lendemain noir' est un mixe de mystique, de politique et d'aventures futuristes. C'est d'ailleurs une œuvre qui a été primée dans un festival en Europe'', explique Lamine.
Ce dernier confie être en train de travailler sur un projet qui porte sur les héros du Sénégal.
Pour Tyty comme pour Lamine, toute création de qualité requiert une bonne inspiration, un prétexte et un thème qui accroche les lecteurs dont l'esprit critique est très redouté.
Tyty qui a poussé ses études jusqu'en faculté de droit, avant de décider de tout arrêter et de ne se consacrer qu'au dessin, dit avoir pour sources d'inspiration la société de façon générale.
Tout ce qui est lié à la famille l'inspire aussi bien que les questions d'éducation, la notion de nation, de bien et de mal, en essayant d'en valoriser une certaine morale. Selon ses propres termes, '' l'objectif est de créer un électrochoc selon les situations'' pour une prise de conscience de certains maux qui minent la société.
Le but visé par Tyty comme par beaucoup d'autres dessinateurs, caricaturistes ou auteurs de bandes dessinées, peut se traduire par le dessin réalisé et posté par Lamine le 22 avril 2022 pour dénoncer les violences et autres négligences médicales dont sont victimes les femmes enceintes dans les hôpitaux.
Longtemps considérée par certains comme un secteur peu lucratif pour ses acteurs, surtout ceux évoluant en Afrique, la bande dessinée, dont les œuvres en occident ont permis à des stars, comme Stan Lee (un des pères de la bande dessinée américaine), de se bâtir un empire financier, semble de plus en plus permettre à ces auteurs de s'en sortir du point de vue pécuniaire.
''Aujourd'hui, j'arrive à supporter mes charges en tant que père. J'arrive à payer la scolarité de mon enfant, à me prendre en charge. Au début, c'était assez difficile : oui, parce qu'il faut faire ses preuves, les marchés ne viennent pas d'un coup. Mais avec une bonne gestion, c'est possible '' , affirme Tyty.
'' Moi, je travaille beaucoup dans la production cinématographique, j'ai produit des livres pour enfants, je produis aussi des clips pour des artistes et des films institutionnels. Pour le dessin et la bande dessinée, quand on me fait des commandes, je les exécute. J'essaie de vivre, j'essaie de trouver des gens qui sont intéressés par le dessin,'' explique de son côté le dessinateur sénégalais à qui il arrive également d'animer des ateliers sur la bande dessinée avec certaines institutions.
À l'instare de Tyty et de Lamine qui sont pour l'occasion des porte-paroles de centaines de passionnés de dessins et de la bande dessinée, beaucoup pensent qu'une meilleure organisation et une plus grande considération des artistes dessinateurs par les pouvoirs publics permettrait à ces derniers de vivre encore mieux de leurs créations.
Pour cela, Lamine Dieme suggère en guise de solution une plus grande présence de maisons d'édition consacrées à la bande dessinée africaine pour un public qui semble en demander.
Aussi, propose-t-il plus d'échanges entre auteurs africains et des échanges entre auteurs et leur public.
Eric Nziengui est fonctionnaire gabonais d'une quarantaine d'années qui se présente comme un fan de bande dessinée. Il dit avoir beaucoup appris à travers ce qui est considéré par beaucoup comme un jumelage d'art et de communication.
''Je suis un féru, un passionné de BD, grâce à elle, j'ai découvert et appris beaucoup de choses, elle m'a beaucoup appris sur le plan pédagogique!'' explique Eric Nziengui à TRTAfrika.
''Je suis un collectionneur, sous mon lit, j'ai au moins 500 BD que je relis souvent. En plus, actuellement, tout a été numérisé, donc nous avons la possibilité de lire les BD gratuitement sur les différentes plateformes au niveau de Facebook sans bourse délier, '' confie-t-il d'un ton fier.
C'est donc pour des férus de bande dessinée comme Eric Nziengui que Lamine,Tyty et des centaines d'autres sur le continent veulent continuer à donner vie sur du papier à des personnages, pour véhiculer des valeurs enracinées à l'Afrique tout en étant distrayant et éducatif.