La 24ème édition du Festival Gnaoua et Musiques du Monde/ TRT AFRIKA

Par Emilie Pons

Emplie de mouettes, d’odeurs de sardines, du son du vent et des vagues, de brume et de soleil, de mosquées blanches aux minarets rectangulaires, la ville d’Essaouira charme.

Dans ses ruelles bleues et blanches remplies de chats somnolents se font entendre castagnettes et chants d’hommes, parfois plaintifs et parfois joyeux. Ces chants racontent une histoire de migration, de douleur.

Ce sont les chants des maâlems, ou encore les “maîtres” en arabe. On peut être maître de tout un tas de savoir-faire: maître menuisier, maître cuisinier, maître tanneur.

Mais à Essaouira, sur la côte ouest du Maroc, on rencontre beaucoup de maîtres Gnaoua. La plupart sont des hommes, mais certains sont également des femmes. D’ailleurs, ces femmes sont responsables de toute l’organisation des cérémonies privées, ou “lila”, qui sont à l’origine de la culture Gnaoua.

La 24ème édition du Festival Gnaoua et Musiques du Monde/ TRT AFRIKA

“Cette musique… c’est le Mali, c’est la guitare basse traditionnelle,” explique Alvie Betimo, du groupe Les Amazones d’Afrique, qui s’est produit cette année à l’occasion de la 24ième édition du festival de musique Gnaoua de la ville d’Essaouira.

“Il faut savoir aussi que souvent, c’est joué pour des cérémonies spirituelles: C’est mystérieux, c’est spirituel. Il y a tout un truc autour de ça. Ce n’est pas juste de la musique comme ça. Et quand vous voyez les gens danser, vous sentez qu’il y a quelque chose qui se passe.”

Effectivement, le Gnaoua donne toute son importance au corps et à la transe: lors d’un concert, il est fréquent d’observer certains musiciens sauter dans les airs, tout comme certains des musiciens du groupe Les Tambours du Burundi lors du concert d’ouverture du festival, qui vient tout juste d’avoir lieu, à Essaouira.

D’ailleurs, en véritables acrobates, Les Tambours du Burundi ne faisaient pas seulement des sauts, mais également des pirouettes dans l’air. Pour le musicien Gnaoua Samir LanGus, originaire de Aït Melloul, près d’Agadir, mais désormais basé à New York, les musiciens de Gnaoua qui sautent pendant un concert ou une cérémonie montrent qu’ils ne sont plus esclaves, qu’ils sont libres.

“Les gnaouas [viennent] de l’esclavage,” explique la chanteuse béninoise Fafa Ruffino, qui était elle aussi sur scène pour le festival, avec son groupe Les Amazones d’Afrique

“Ce sont des gens qui ont été déportés. Ils ont essayé de se maintenir psychologiquement en gardant cette musique-là qui est la musique de leurs ancêtres. Cette musique vient bien de quelque part; eux, les gnaouas, ils viennent bien de quelque part. Ce quelque part n’a pas été rayé de la carte; donc cette musique-là, l’origine est là, la source est là.”

Par ‘là’, Ruffino parle de l’Afrique noire.

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La culture Gnaoua est un mélange de cultures pré-islamiques sub-sahariennes et de culture Sufi. Ceci a donné naissance à des rituels afro-islamiques, explique le musicologue américain Witulski dans son ouvrage de 2018 intitulé Les Lions Gnawa: Authenticité et Opportunité dans la Musique Rituelle Marocaine.

Witulski compare également le Gnaoua à la santeria à Cuba et au vaudou à Haiti, même si ceux-ci sont des pratiques religieuses “afro-catholiques” et non “afro-islamiques”.

La musique ancestrale des Gnaouis fait vibrer tout le pays, et même au-delà: le Gnaoua séduit en effet son public au Brésil ou aux États-Unis, avec des artistes tels que Samir LanGus, qui vient de se produire à Miami avec un groupe de musique samba.

Monsieur LanGus a également joué à Jérusalem l’année dernière. Comme l’a exprimé le politologue et réalisateur marocain Hisham Aïdi au cours de la conférence (le Forum des droits de l’Homme) qui a également eu lieu sur deux jours pendant le festival d’Essaouira, il y a des écoles de Gnawa en Pologne et au Japon.

Le Gnawa, plus que tout autre style musical, est l’ambassadeur musical du Maroc à l’etranger. Après tout, il a été reconnu par l’Unesco comme héritage intangible de l’humanité.

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La culture Gnaoua fait appel à tous les sens. “Il y a les couleurs, l’encens, la danse… il y a tellement d'éléments à maîtriser avant de devenir un maâlem,” explique LanGus.

La culture Gnawa utilise également des couleurs telles que le le blanc, le jaune, le vert, le mauve, le bleu ou le rouge. Les musiciens portent des vêtements de ces couleurs, et chaque couleur a une ou plusieurs significations.

A chaque couleur correspond un minimum de douze chansons; mais certaines chansons ne sont pas associées à une couleur. “C’est la règle pour être un maître Gnawa,” explique Samir LanGus.

“Il faut savoir quoi jouer, où, et il faut savoir enchaîner d’un morceau à un autre. Et puis si tu vas à Rabat, l’ordre n’est pas le même - ou à Marrakech.” La musique Gnaoua, un mélange d’influences de multiples locations africaines, se marie aussi a beaucoup de styles musicaux différents.

En 1994, le feu saxophoniste américain Pharoah Sanders a enregistré l’album “La Trance de Sept Couleurs” avec le feu Maâlem Mahmoud Gania. Le bassiste américain Bill Laswell a également enregistré “Tagnawwit: Holy Black Gnawa Trance” avec Maâlem Mokhtar Gania, lui-même d’Essaouira et frère de Mahmoud.

Les trompettiste Don Cherry et le batteur Adam Rudolph se sont également produits avec de grands artistes de musique Gnaoua.

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Et la 24 ième édition du festival de musique Gnaoua d’Essaouira a rappelé l’importance de ces collaborations avec de nombreux concerts fusion, mais la culture Gnaoua s’écoute très bien de manière intimiste, et plusieurs concerts du festival ont également eu lieu en plus petits comités, à l'intérieur d’anciennes et de très belles demeures, ou “dar”, au coeur de la ville.

TRT Afrika