Par Firmain Eric Mbadinga
Dans un poème écrit en son honneur il y a deux ans, Ibrahim Adjagbe est décrit comme un ''messie'', qui libère une nation grâce à son amour pour le ballon rond.
En effet, à travers des vers, Paul Anicet Mounziegou écrivain gabonais et interprète de la langue des signes, voulait saluer l'engagement, l'amour, la passion pour le sport et pour ses semblables, qu'il avait observés chez Ibrahim Adjagbe.
Deux ans après l'écriture de ce poème, Ibrahim Adjagbe, alors président de l'Association Gabonaise Omnisports des sourds, est devenu le président de la Confédération Africaine de Football des Sourds, le 03 octobre dernier.
Du haut de son 1,70 m et de ses 32 ans, Ibrahim, qui est sourd, mais pas muet, affirme être totalement épanoui dans la vie. Il a choisi de faire de sa condition une raison de se battre, plutôt qu'un frein.
''Je suis parvenu à être l'homme que je suis aujourd'hui grâce à ma détermination, à mon travail acharné et au soutien de ma famille et de mes amis. Je crois fermement que ce n'est pas ma surdité qui définit qui je suis, mais plutôt mon expérience, mes valeurs et mon engagement envers ma passion", déclare Ibrahim Adjagbe à TRTAfrika.
Il est fréquent de voir des personnes hésiter ou se perdre complètement quand il s'agit de trouver le mot juste pour désigner quelqu'un qui a des problèmes d'audition.
À titre de rappel, on parle de personne sourde pour évoquer quelqu'un dont la capacité auditive est problématique de façon grave ou totale dès la naissance ou l'enfance. Les personnes malentendantes, quant à elles, sont celles dont les compétences auditives ont diminué à cause de facteurs exogènes à un moment quelconque de leur vie.
Ibrahim Adjagbe lui, a totalement perdu la capacité d'entendre à 9 ans. Ce qui ne l'a pas empêché de se construire, bien au contraire.
''Ma condition ne m'empêche pas de m'épanouir dans mon travail. Au contraire, cela me pousse à être encore plus déterminé et à surmonter les obstacles. Je n'ai pas été formé, j'ai fait l'effort d'apprendre moi-même les choses de la vie."
"J'ai fait l'école avec les personnes entendantes au lycée panafricain d'enseignement général à Libreville. Ce n'était pas facile avec mon problème d'audition, mais je faisais des efforts et je donnais le meilleur de moi-même'' explique le président de la CAF des sourds.
10 ans après être devenu sourd, en 2009, celui qui aimait taper dans un ballon de football fera la rencontre d'un ami également sourd, dont il tait le nom par discrétion. C'est avec cet ami qu'Ibrahim va apprendre la langue des signes. C'est également en faisant cette rencontre qu'Ibrahim se rendra compte qu'il n'est pas le seul au monde à être sourd.
''J'ai appris la langue des signes des sourds en 2009 grâce à un ami sourd ! Depuis ma naissance, je ne savais pas qu'il y avait des personnes sourdes ou muettes comme moi".
"Je pensais être le seul au monde. Quand j'ai croisé des personnes sourdes à Nzeng Ayong (un quartier de Libreville), j'ai été surpris et heureux de les voir. Je me suis dit qu'il y avait aussi des sourds comme moi et ce fut un plaisir de partager avec eux et de faire partie de leur communauté '' déclare Ibrahim Adjagbe.
Le quartier Nzeng Ayong, en plein cœur du 6ᵉ arrondissement de Libreville, abrite le siège de l'association des sourds mets du Gabon, et c'est dans cette association qu'Ibrahim fera la rencontre de l'écrivain et interprète en langue de signes Paul Anicet Mounziegou.
Dans cette communauté, Ibrahim va s'intégrer, et partager sa passion pour le football, se faisant des amis dans un premier temps.
Ibrahim Adjagbe va ensuite monter une équipe avec d'autres passionnés du centre, avant de mettre en place, quelques années plus tard, l'Association Gabonaise Omnisports des Sourds.
''En arrivant, très féru du ballon rond, il va mettre en place une association et c'est au sein de cette association qu'il va développer des activités sportives en général, le football en particulier. Et comme ils sont malentendants ou sourds, c'est comme ça qu'Ibrahim va me contacter pour les accompagner dans leurs activités'' témoigne l'écrivain Paul Anicet Mounziegou.
''Depuis notre rencontre, je vois de la détermination d'aider les autres chez Ibrahim Adjagbe. Nous avons ensemble effectué plusieurs voyages. Nous sommes allés au Brésil, au Kenya, et tout récemment en Malaisie pour la Coupe du monde de football des sourds, ce grâce à ses efforts.''
Ibrahim ADJAGBE Notre avenir était sans espoir, Nous sombrions dans le désespoir, L'oisiveté et le vice, inscrits dans notre répertoire, Le soleil avait quitté notre trajectoire. Car devenus pour les autorités, des accessoires. C'est alors que tu fis ton apparition, Comme un "messie" qui libère une nation, Oui toi, amoureux du ballon rond, Tu nous accompagnes comme un chaperon. Tu nous aides à forger comme un bûcheron. De Montpellier à Toulouse, De Yaoundé à Nairobi, Tu as agi avec philanthropie. Tu as fait de nous des " internationaux", En posant des actes colossaux, À présent, nous marquons des buts talentueux. Alors que certains profitent de notre fragilité, Tu as su nous donner de la dignité. Merci à toi et à ta structure « Ibra'sport » ! Ensemble nous serons plus forts ! Que le Ciel bénisse tes efforts ! Qu'il soit notre renfort, notre essor, notre réconfort !
La différence
S'agissant des interactions quotidiennes, Ibrahim Adjagbe soutient que les personnes qui ne sont pas sourdes, muettes ou malentendantes se comportent avec lui de manière convenable. Dans certains cas, Ibrahim y voit un peu de curiosité bienveillante.
''Ils sont curieux d'en apprendre davantage sur ma surdité et sont souvent très encourageants et compréhensifs. Parfois, il peut être frustrant de ne pas être pleinement compris, mais je suis reconnaissant pour les efforts que les autres font pour communiquer avec moi '' reconnaît le président.
Cette reconnaissance du président de la Confédération Africaine de football des Sourds ne l'empêche pourtant pas de souligner des aspects qui pourraient être améliorés .
Il évoque entre autres la possibilité de renforcer la sensibilisation à l'inclusion et à l'accessibilité pour aider à rendre la société plus inclusive pour tous.