Les « fous chantants » ougandais s'en prennent au gouvernement via la comédie/AFP

Dans une salle de spectacle bondée de Kampala, le public retient son souffle alors que quatre autoproclamés "fous chantants", en longues robes d'enfants de choeur, entrent en scène, prêts à dérouler leur satire piquante de la politique ougandaise.

Le spectacle de la troupe Bizonto dépeint les mésaventures d'un village imaginaire gouverné par un président vieillissant et souffrant, malgré des impôts élevés, d'un déficit criant de services publics.

Le parallèle avec l'Ouganda, dirigé depuis 1986 par Yoweri Museveni, 80 ans, n'est pas difficile à établir.

La troupe a choisi ce nom ("bizonto" désigne des personnes mentalement instables en langue luganda) en espérant qu'il lui offrirait quelque protection vis-à-vis de ce régime répressif. Mais il n'a pas dilué le tranchant de sa satire.

"Par notre message, les gens savent qu'en fait nous ne sommes pas des fous", raconte à l'AFP l'un de ses membres, Maliseeri Mbambaali, 40 ans.

Le spectacle "aborde des problèmes dont parle la majorité de la population", ajoute-t-il.

Mais leur parti-pris comique n'a pas toujours suffi à les protéger.

"50 hommes armés de 70 pistolets"

 Les « fous chantants » ougandais s'en prennent au gouvernement via la comédie/AFP

En 2020, année de sa formation, une vidéo de la troupe appelant avec ironie à prier pour Yoweri Museveni et d'autres hauts responsables du régime, dont le chef de la police, était devenue virale sur les réseaux sociaux.

Les quatre comédiens - Maliseeri Mbambaali mais aussi Julius Sserwanja (41 ans), Tonny Kyambadde (21 ans) et Joshua Ssekabembe (19 ans) - avaient été arrêtés, dans un contexte politique tendu à l'approche d'une élection présidentielle où Yoweri Museveni allait affronter l'ancien chanteur de reggae devenu opposant Bobi Wine.

Les quatre comédiens avaient été poursuivis pour "promotion du sectarisme" et risquaient jusqu'à cinq ans d'emprisonnement.

Dans une exagération toute comique, Sserwanja raconte aujourd'hui comment "50 hommes armés de 70 pistolets, des hélicoptères et des mitraillettes" avaient débarqué dans les locaux d'une radio pour les arrêter.

Ce séjour en prison fut cependant loin d'être drôle et maintes fois les compères se sont demandé s'ils en sortiraient un jour.

Ils n'avaient pas réalisé qu'à l'extérieur, leur arrestation les avaient rendus célèbres et combien le hashtag #FreeBizonto montait sur les réseaux sociaux.

"Nous avons gagné de l'énergie et des fans", se souvient M. Mbambaali.

 Les « fous chantants » ougandais s'en prennent au gouvernement via la comédie/AFP

Cette pression populaire a contribué à voir les poursuites finalement abandonnées, et les artistes relâchés. Mais l'épisode a servi d'avertissement.

"Cela (nous) a lancé un signal sur le fait que quoi que nous fassions, le gouvernement allait nous surveiller", poursuit-il, soulignant avoir ensuite opté pour une approche plus "codée".

"Ne jamais abandonner"

Les applaudissements, cris et rires accueillant les saillies de Bizonto lors d'une récente représentation témoignaient de combien le spectacle parle à son public.

Ce dernier rassemble plusieurs générations, à l'image de Miria Kawuma, une veuve âgée de 72 ans et de sa petite-fille Christine Nabaata Kamwesi, 29 ans.

"Les artistes capturent ce que vivent les Ougandais comme la corruption, les mauvaises routes, le manque de médicaments dans les hôpitaux", relève cette dernière.

"Nous payons de plus en plus d'impôts mais ils sont volés par les responsables", ajoute sa grand-mère.

L'Ouganda se classe au 141e rang sur 180 pays dans l'index de Transparency International sur la corruption.

 Les « fous chantants » ougandais s'en prennent au gouvernement via la comédie/AFP

Récemment, inspirés par les manifestations antigouvernementales lancée par la "Génération Z" au Kenya voisin, de jeunes Ougandais sont descendus dans la rue, échaudés par une série de scandales.

Mais ils ont trouvé sur leur chemin une très forte réponse policière.

De son côté, la troupe Bizonto dit ne pas s'être laissée décourager par son arrestation.

"Nous n'avons jamais abandonné. Nous n'avons jamais reculé", dit Maliseeri Mbambaali: "Nous savions que nous étions sur la bonne voie."

AFP