Dans un brouhaha de bavardages d'enfants, les pupitres de l'orchestre philharmonique d'Odienné s'installent.
Au premier rang de l'ensemble, au sein duquel balafons et djembés côtoient des instruments européens, Leïla Coulibaly, 9 ans, accorde patiemment son violon.
"Je veux être musicienne professionnelle parce que l'orchestre a changé ma vie", affirme-t-elle.
Chaque jour après l'école, 139 enfants âgés de 6 à 16 ans sont récupérés chez eux par un minibus et jouent pendant 2H30 encadrés par une dizaine de professeurs dans un hôtel.
"Un projet fou" dans une région comme celle-ci, estime le chef d'orchestre Fabrice Koffi.
Territoire rural
L'économie d'Odienné, ville de 86.000 habitants, repose sur l'agriculture, qui fait parfois travailler les enfants.
Par 35 degrés, Siaka Sy Savané, 15 ans et tromboniste de l'orchestre, est assis derrière les étals ombragés d'un marché. Depuis l'aube, il vend consciencieusement des céréales.
Dès l'aube "du lundi au vendredi, je viens aider ma maman au marché. Samedi et dimanche, je vais avec mon grand-frère au champ", raconte-t-il. "Quand je chante les musiques de l'orchestre, je ne sens plus la fatigue, ça me motive".
"Depuis tout petit je rêve d'être musicien" et "aujourd'hui, mon rêve se réalise", se réjouit-il.
En août 2023, près d'un an après avoir commencé la musique, les enfants ont joué devant le président ivoirien Alassane Ouattara, pour célébrer le 63e anniversaire de l'indépendance du pays.
S'ils laissent échapper quelques fausses notes, tous interprètent avec aisance la "Marche des prêtres", extrait de l'opéra de Mozart La flûte enchantée, ou le "Coup du marteau" de Tamsir, tube de la Coupe d'Afrique des nations (CAN) de football 2024.
Ils ont d'ailleurs donné un concert lors de la cérémonie de clôture de la CAN remportée par la Côte d'Ivoire.
"Ca m'a plu de jouer devant tout ce monde", confie Leïla Coulibaly. "J'ai eu trop peur" mais "j'ai repris confiance en moi" et "j'étais très contente", se souvient-elle.
Inspiré du concept vénézuélien El Sistema - un accompagnement par la musique d'enfants issus de milieux défavorisés -, l'orchestre a été créé à l'initiative du ministre de l'Emploi et de la Protection sociale, Adama Kamara, qui le finance personnellement et entièrement.
"Convaincre" les parents
Le chef d'orchestre, Fabrice Koffi, veille sur chaque élève depuis les premières répétitions.
"On fait le chemin inverse de ce que fait un orchestre traditionnel", explique-t-il. Si un ensemble est habituellement "le rassemblement de tous les meilleurs" musiciens, celui d'Odienné a appris aux enfants des bases, comme "le solfège" et "des techniques de jeu", dit-il.
En outre, la "pédagogie" est "collective, contrairement aux conservatoires" qui donnent la priorité aux cours particuliers, relève Jean Caleb Kouadio, professeur de trompette.
Une pédagogie également destinée aux parents, car l'idée d'un orchestre s'est heurtée plus d'une fois à des familles conservatrices.
"Au début, les parents étaient franchement réticents", se rappelle Abdramane Doucouré, intermédiaire entre les familles et l'orchestre. "Certains disaient que la musique ne va pas avec la religion musulmane", majoritaire dans la région.
Sarata Kanté, trompettiste à l'aube de l'adolescence, a elle-même dû convaincre ses parents.
"Elle a insisté pendant plusieurs semaines" pour jouer dans l'orchestre, explique sa mère, Mawa Keïta. "Ce n'était pas mon ambition, ma vision pour elle", affirme son père, Ousmane Kanté, craignant "qu'elle soit trop distraite". "L'école c'est le sérieux", affirme-t-il.
Il ne s'agit pas "de déscolariser" les enfants "pour en faire des musiciens", assure Fabrice Koffi, qui, plus jeune, a dû aussi tenir tête à ses parents pour devenir flûtiste. "Au contraire, la musique" offre "des potentialités pour pouvoir exceller à l'école", estime-t-il.
D'ailleurs, les résultats scolaires de Sarata se sont améliorés. Désormais, elle se rêve "vétérinaire".
Face à un avenir souvent incertain dans un pays où la pauvreté et chômage frappent les jeunes, Deborah Bodo Israël, professeure d'alto, continue de s'émerveiller: "ce qui se passe, c'est magique".