Par Rachida HOUSSOU
C’est au pied d’une des collines de la ville de Savalou que le rituel s’exécute au sein du palais royal. Comme chaque année, ce 14 août, la population, les dignitaires religieux, le roi de Savalou et ses nombreux invités se sont donné rendez-vous sur la place dédiée à la cérémonie pour sacrifier à la tradition.
Elle est vieille de plusieurs siècles. La méthode a évolué un peu selon les natifs de la région, mais les objectifs demeurent : protéger la population contre d’éventuelles maladies que pourrait induire la consommation de ce tubercule "sacré".
Devant une foule bigarrée, un collège de dignitaires des religions endogènes appelés au Bénin boconon s’installe autour de l’arsenal de sacrifice : des calebasses et canaris entourés d’herbes, deux poules, de l’alcool local, des bols et surtout deux ignames et un couteau.
Après des prières et des incantations, l’un des boconons se saisit des ignames qu’il manipule méthodiquement avant d’en couper quelques rondelles enduites d’un liquide jaunâtre.
Tout ceci, sous le regard attentif du souverain de Savalou Dada Ganfon Gbaguidi XV, assis sur son trône, le public autour de lui.
Les rondelles réduites en plus petits morceaux sont lancées comme on le fait pour des jetées de cauris.
Les morceaux retombent sur le podium du rituel et le prêtre du fâ (l’oracle) annonce le signe sous lequel l’igname sera consommée cette année.
Il s’agit du troukpè mindji. Les deux principaux dignitaires expliquent qu’il s’agit d’une exhortation au retour aux sources. '' C’est au bout de l’ancienne corde que se noue la nouvelle '', commente le deuxième dignitaire.
Après les explications et des incantations, les morceaux d’igname utilisés par les boconons sont portés au roi. Il les goutte et donne ainsi le la pour la consommation des nouvelles ignames dans le pays et surtout à Savalou.
Ce geste du souverain vient clore le rituel d’immolation d’igname et autorise désormais tout le monde à en consommer. Puis la fête commence vraiment !
Le côté festif
Les adeptes de différentes divinités se succèdent sur la piste de danse accompagnés par le son des tam-tams et des chansons.
Les femmes du vodoun avlékété se déhanchent dans un rythme endiablé. Les hommes de la divinité Sogbo, suivis de quelques femmes, défilent énergétiquement à grandes enjambées, un enfant sur l’épaule et une hache en main, exécute des pas de danse.
L’igname réunit tout ce monde chaque année, aussi parce qu'elle reste 09 mois dans les buttes avant d’être récoltée. Ce tubercule est donc considéré comme un enfant qui naît après 09 mois dans le sein de sa mère, explique Gabin ALOGNON, un natif de Savalou.
Une fois la cérémonie terminée, la majorité des invités et des habitants de la ville se retrouvent autour de bons plats fumants, d’ignames pilées et de sauces d’arachide.
Les nouvelles ignames déjà sur les marchés à Cotonou
Des champs, les ignames sont convoyées vers les marchés. À Cotonou, dans le plus grand marché du pays à Dantokpa, les ignames sont exposées sur les étalages par tas de trois ou plus, certaines dans des sacs sur le site des grossistes et d’autres à même le sol sur le site des détaillants.
La variété la plus prisée est communément appelée "laboco". Elle se distingue par sa forme conique. Dans les assiettes, c’est un pur délice !, c'est la variété la plus chère. Les tas de trois sont entre 2500 et 5000 francs CFA, voire plus. '' Viens-je te ferai un bon prix '' ''laboco '' lancent les revendeuses à l’endroit des potentiels clients qui arpentent les couloirs du site.
'' Il y a moins de stock en ce moment, c’est pourquoi les ignames laboco sont chères '' explique une des revendeuses du site approchée sur la cherté de ce type d’igname. Avant la cérémonie à Savalou, ces tubercules coûtent un peu plus, témoigne Julienne, une cliente venue s’approvisionner l’avant-veille de la cérémonie.
'' Moi, j'attends le mois d'août juste pour le laboco. Je ne pouvais pas attendre la cérémonie '' confie la jeune dame quittant le marché avec un sachet de trois tubercules à 3000 francs CFA.
Dans certains restaurants spécialisés dans l’igname pilée, les coups de pilons résonnent plus tôt avec l’apparition des nouvelles ignames.
L’igname est aussi un élément très important à l’heure du goûter au Bénin. Beaucoup raffolent des ignames frites en fin d’après-midi. Les clients réclament les nouvelles ignames précisément le "laboco" confie une revendeuse de beignets et d’ignames croisée dans une ruelle de Cotonou.
La production nationale en igname au Bénin est estimée à 3 150 248 tonnes de 2020 à 2021, d'après la direction de la statistique agricole. Selon l’agro-sociologue Nasser BACO, l’igname a un rôle social important dans le pays '' parce que c’est une culture d’origine africaine, de toutes les cultures, elle est récoltée en premier.
On la retrouve aussi dans les cérémonies nuptiales, funéraires et autres dans certaines régions '', détaille l’enseignant à l’université d’Abomey Calavi.