Par Emmanuel Onyango
La course présidentielle tendue au Sénégal met en lumière le choc des perspectives dans ce pays d'Afrique de l'Ouest, longtemps considéré comme un phare de la démocratie dans une région tumultueuse, mais aujourd'hui en proie à ce qui est considéré comme la pire crise électorale de son histoire.
Les quelque sept millions d'électeurs décideront dimanche de se ranger derrière Amadou Ba, 62 ans, candidat de la coalition au pouvoir, Bassirou Diomaye Faye, homme politique de l'opposition fraîchement sorti de prison, ou un autre des quelque deux douzaines de candidats en lice.
Le président sortant, Macky Sall, qui est arrivé au pouvoir en 2012, ne se représente pas, car il effectue son deuxième et dernier mandat autorisé par la Constitution.
La coalition au pouvoir a promis la stabilité et la continuité, mais l'opposition a promis d'appuyer sur le bouton "reset" du "système" du pays qui, selon elle, favorise l'élite.
Ce qui ne fait aucun doute, en revanche, c'est la tension suscitée par la tentative du président sortant, Macky Sall, de retarder le scrutin - initialement prévu pour le 25 février - jusqu'en décembre.
Le Conseil constitutionnel a débouté le président, qui a ensuite annoncé le 24 mars comme nouvelle date pour les élections, ce qui ne laissait que deux semaines pour les campagnes.
Le président Sall a nié avoir provoqué des tensions politiques. Il a également libéré certains de ses plus féroces détracteurs afin de calmer les nerfs à l'approche des élections attendues de longue date.
Comment le Sénégal s'est-il retrouvé dans une tourmente qui a fait des dizaines de morts et des centaines d'emprisonnés parmi les opposants ?
Des candidats de l'opposition exclus
Le 21 janvier, le Conseil constitutionnel a publié une liste définitive de 20 candidats à l'élection présidentielle qui excluait le chef de l'opposition emprisonné, Ousmane Sonko, et Karim Wade, le fils de l'ancien président Abdoulaye Wade.
Cette décision a alimenté le mécontentement à l'égard du processus électoral. Des centaines d'opposants ont été arrêtés à la suite de violentes manifestations.
Les candidats exclus ont déclaré que les règles de candidature n'avaient pas été appliquées de manière équitable. Les autorités ont démenti cette affirmation.
Le président reporte les élections
Quinze jours plus tard, le président Sall a annoncé le report indéfini de l'élection présidentielle prévue pour le 25 février, quelques heures seulement avant le début de la campagne officielle.
Dans un discours à la nation, il a annoncé l'ouverture d'un dialogue national pour réunir les conditions d'une élection libre, transparente et inclusive.
Il a fait valoir que le pays avait besoin de plus de temps pour résoudre les controverses liées à la disqualification de certains candidats et à un bras de fer entre les pouvoirs législatif et judiciaire.
C'est la première fois qu'une élection présidentielle sénégalaise est reportée depuis l'indépendance du pays vis-à-vis de la France en 1960.
L'opposition a dénoncé cette décision comme un "coup d'État institutionnel", mais le gouvernement a rejeté les allégations selon lesquelles le report était une tentative de coup de force.
La décision a ensuite été approuvée par le parlement et a suscité l'inquiétude de la communauté internationale, des centaines de Sénégalais étant descendus dans la rue.
Dialogue national
Les leaders politiques, religieux et civiques participant à l'initiative de "dialogue national" du président ont proposé que les élections présidentielles se tiennent le 2 juin.
Les participants ont également recommandé que le président Sall, dont le mandat s'achève le 2 avril, reste en fonction jusqu'à la prestation de serment de son successeur.
Ils ont déclaré qu'il existait un "large consensus" en faveur de cette mesure, malgré l'opposition d'un certain nombre d'acteurs politiques et de la société civile à une telle prolongation.
Le 5 février, les législateurs ont approuvé la date du 15 décembre comme nouvelle date d'élection après avoir voté sur un projet de loi soumis au parlement par une coalition d'opposition.
Cela signifiait que le mandat du président serait prolongé de 10 mois, ce qui n'a fait qu'attiser les tensions. La police a répondu aux manifestations de rue qui ont suivi par des gaz lacrymogènes et des arrestations.
Report annulé
Deux semaines après le report de l'élection, la plus haute autorité électorale du Sénégal, le Conseil constitutionnel, a annulé la décision de reporter l'élection
Le Conseil a estimé que la décision sans précédent du président Sall n'était pas conforme à la constitution.
Cette décision fait suite à des recours juridiques déposés par des candidats à l'élection présidentielle et des législateurs de l'opposition contre la décision du gouvernement.
Le Conseil constitutionnel a demandé "aux autorités compétentes de l'organiser (l'élection) dans les meilleurs délais". Il a insisté sur le fait qu'elle devait avoir lieu avant la fin du mandat de M. Sall, le 2 avril.
Nouvelle date acceptée
Le président et le dialogue national ont finalement accepté de tenir l'élection sénégalaise le 24 mars. Cette décision a également été approuvée par le Conseil des ministres, selon un communiqué officiel.
La durée de la campagne électorale a également été ramenée de 21 à 17 jours.
Libération de prisonniers politiques
Dans le cadre d'une loi d'amnistie votée précédemment par le Parlement, des opposants au gouvernement ont été libérés de prison le 14 mars.
L'amnistie faisait partie de la réponse du Président Sall pour apporter "l'apaisement à l'espace politique".
Parmi les personnes libérées figurent le chef de file de l'opposition, Ousmane Sonko, et son second, Bassirou Diomaye Faye, candidat à l'élection présidentielle âgé de 43 ans.
Des voitures et des piétons brandissant des drapeaux sénégalais se sont rassemblés devant la prison située au sud de Dakar, où les deux opposants étaient détenus.
Fin de la campagne
Plus de sept millions de citoyens inscrits devraient voter dans plus de 16 000 urnes pour désigner le successeur de M. Sall, qui a gouverné pendant 12 ans.
Selon le système électoral sénégalais, un candidat doit obtenir plus de 50 % des voix pour l'emporter et éviter un second tour.
Selon la constitution, si aucun candidat n'obtient ce montant, un second tour de scrutin doit être organisé le troisième dimanche suivant l'annonce des résultats.
Les candidats à la présidence ont fait leurs dernières déclarations aux électeurs vendredi, marquant ainsi la fin d'une campagne électorale précipitée.