Par Daouda Sow
Le poète Sénégalais, Amadou Lamine SALL est le lauréat du Grand Prix du Festival de la poésie Africaine. La première édition de cet événement littéraire tenu à Rabat au Maroc, a eu lieu du 05 au 07 mai 2023. L'initiative est de la maison de la poésie au Maroc, en collaboration avec le ministère Marocain de la jeunesse, de la culture et de la communication.
Pour cette première édition, placée sous le thème « Notre continent Africain, notre horizon poétique », le Grand Prix porte le nom du poète Léopold Sédar Senghor. Dans cet entretien avec TRT Afrika Amadou Lamine SALL, revient , sur Senghor, le divin dans la création, la poésie « africaine » et s'adresse à la nouvelle garde..
La première édition porte le nom du poète Léopold Sédar Senghor. Qu'est ce que cela fait au "Senghorien" que vous êtes, de remporter le premier prix d'un festival rendant hommage au président-poète ?
J’éprouve une infinie émotion en sachant que ce prix de la poésie africaine qui vient d’être décerné à Rabat, au Maroc, porte le nom de Senghor.
Ému mais aussi touché par ce destin voulu par Dieu qui a tenu à ce qu’Amadou Lamine Sall soit désigné comme 1er lauréat de ce prix.
Il n’existe pas de hasard. Senghor s’est sans doute souvenu de ce qu’il avait si généreusement dit de moi comme « le jeune poète le plus doué de sa génération », pour que le Seigneur avec qui, désormais il vit, accède à sa demande en ma faveur.
C’est ma lecture de ce bonheur qui m’arrive. Sédar est mon totem. Qui le nomme ou le touche, me nomme et me touche. Je dois continuer malgré mon âge à travailler toujours encore plus pour mériter de lui. Il était exigeant.
Peut-on parler de l'existence d'une poésie Africaine ? Si oui, quelles sont ses spécificités ?
Parler d’une poésie Africaine serait comme parler d’un Coran africain. Le Coran est le Coran. La poésie c’est la poésie. La vraie, celle qui rayonne, éblouit, enivre, enseigne, est celle où se mêle une part du Souffle divin.
Avec le temps et l’âge, ma conviction est que la poésie participe du surnaturel. C’est un pain dont la farine est habitée par une levure d’outre-ciel.
J’ai beaucoup lu pour en arriver à cette certitude. La poésie est aussi l’expression d’une culture, d’une langue. Dans ce qu’elles ont de plus sacré, de plus beau, de plus énigmatique, de plus curatif, de plus guérisseur, de plus spirituel, de plus contagieux, de plus intime, de plus puissant. La poésie est porteuse d’âme.
Amadou Lamine SALL, vous êtes aussi fondateur de la maison Africaine de la poésie internationale (MAPI), président de la Biennale des Rencontres Poétiques Internationales de Dakar et des Éditions Feu de brousse. Quelle lecture faites-vous aujourd'hui de la place de la poésie Africaine dans le monde de la littérature ?
Je ne fais aucune lecture. Je constate. Les faits sont là. Ils s’imposent d’eux-mêmes. Cette poésie portée par des poètes du continent africain est une poésie qui ne s’est pas enfermée chez elle, mais qui est allée prendre également du feu, loin de chez elle.
C’est ce que l’on appelle être ouvert au monde mais en partant toujours de soi même et de chez soi. C’est bien du particulier que l’on va vers l’universel. Senghor, pour revenir à lui, en est un exemple. Joal, le pays Sérère, la femme noire, ont fait l’empreinte, la marque de l’immense poète qu’il fut.
S'ouvrir au monde en partant de soi
Ce poète ne vient pas du pays de Baudelaire, Rimbaud, Hugo, Char, Éluard, Rilke. Pour dire que la poésie dite africaine produite par des africains a bien pris sa place et depuis bien longtemps dans le concert de la littérature mondiale.
Bien sûr, depuis Senghor, le poète africain le plus ancré dans la mémoire de la littérature mondiale, il existe peu, très peu de poètes qui émergent avec la même puissance. Césaire, ce n’est pas l’Afrique mais c’est l’Afrique. Comme Damas. Il y a eu le grand Tchicaya Utamsi.
Soyinka est très peu cité comme poète. Tati Loutard peu connu. Il y a eu Birago qu’un vers a mis dans le train de l’éternité du monde. David Diop pas connu comme il devrait au delà de nos frontières. La liste est très courte des vrais et grands poètes qui n’ont consacré leur vie qu’à la poésie, en monogame endurci.
Les manuels scolaires comptent et les poètes n’y sont pas introduits, même reconnus. Les bons romanciers non plus et ils ne sont pas pourtant nombreux. Ce sont les politiques des ministères de l’Éducation en Afrique qui sont très malades. Les traductions comptent aussi.
J’ai toujours rêvé que le président Macky Sall instaure au Sénégal un fonds dédié à la traduction vers les langues nationales, l’anglais, l’arabe, le mandarin, l’espagnol, le portugais, le russe, des distinguées œuvres des écrivains et poètes sénégalais reconnus comme tels.
Il s’agit de faire voyager, faire connaître, faire lire nos créateurs par le monde. Oui, la littérature Africaine a bien sa place et son renom dans la littérature mondiale ! Elle le montre tous les jours.
Vous êtes auteur de plusieurs œuvres poétiques, dont "Le rêve du bambou", “Les veines sauvages” et “Odes nues”, "Senghor, ma part d'homme", "Kamandalu", entre autres. Qu'est ce qui inspire le poète Amadou Lamine Sall dans ses œuvres ?
Ce qui m’inspire, c’est ce qui a inspiré Dieu à donner si généreusement aux seuls poètes, cette puissance de dire l’avenir et d’avoir déjà la nostalgie de l’avenir.
Ce qui m’inspire s’inspire de la bonté divine qui nous a créés pour faire de nous des êtres de beauté et non des êtres laids et servant le mal. Notre terre a besoin de la voix des poètes. Sinon la terre meurt.
Le monde des politiques a besoin du chant des poètes pour remplacer celui du malheur. L’Afrique est tous les jours dans le deuil. Le monde dans le deuil. Il est temps de lever les yeux au ciel pour voir que la nuit a des étoiles et qu’il suffit de prendre le temps de les regarder pour s’éclairer et quitter les ombres meurtrières.
Retourner au livre pour cultiver l'amour et la tolérance
Ne jamais oublier que c’est un poète qui a fondé le Sénégal moderne et qu’il est temps que ceux qui sont venus après lui donnent du respect aux étoiles. Les arts et les lettres, c’est à dire l’élévation et le respect de l’esprit, seront le fondement de notre unité, de notre grandeur, de notre splendeur.
Sinon, c’est l’abandon, la médiocrité, l’ignorance, la mort qui nous vaincront. Le Sénégal ne peut pas porter ce destin. Il n’est pas né pour porter le deuil.
Retournons au livre. Retournons à la Connaissance. Retournions à Dieu et non pas au terrifiant pouvoir de l’argent et de la ruse. Retournons au chant de l’excellence. Retournons au pardon, à la tolérance. Retournons à l’amour, c’est à dire au chant premier de la poésie.
Dans mes œuvres, la femme est au centre de mon inspiration. Elle en est la matrice comme mère, comme épouse, comme muse. Elle sert ainsi les deux faces de la médaille : l’amour comme avenir de notre terre et l’amour comme souffrance. Un amour chatié, étranglé, trahi, assassiné, pendu. Il est si facile d’être heureux.
Lisez. Lisez les poètes. Ils vous réconcilieront toujours avec la terre.
La jeune génération s'intéresse à la poésie et s'essaye même à la publication de recueils de poèmes. Que pensez-vous de cette nouvelle génération de jeunes poètes ?
Les jeunes qui arrivent à la poésie sont une espérance. L’Afrique comme la poésie ont besoin de la jeunesse.
Vaut mieux qu’elle court la poésie, les livres et les bibliothèques que courir les pirogues vers le large des périls. Mon seul souci est que les jeunes doivent prendre le temps de travailler, de lire.
Se presser pour être coûte que coûte publié, conduit à des déceptions sans nom. Il est difficile sinon impossible de prétendre être un écrivain ou un poète - on dit que les deux sont différents - sans jamais avoir lu un seul livre.
Quelles recommandations ferez-vous à ces jeunes passionnés de poésie ?
Je suis ému et touché de voir tant de jeunes poètes Sénégalais et Africains venir me voir pour parler poésie. Je leur donne tout mon temps, mais le conseil est toujours grave : prenez le temps de lire, de beaucoup lire pour savoir quel chemin emprunter. La poésie n’est pas un roman.
La poésie est redoutable. Elle porte la terre. Je suis fier des jeunes poètes que je reçois.
Je leur parle toujours de ma vie de poète, moi à qui, en 1976, deux géants de la critique africaine et mondiale, avaient donné ce conseil : « Amadou tu es têtu. Tu vas aller t’essayer au roman ou à la nouvelle.
La poésie ne te va pas. Laisse tomber. Elle est trop exigeante. » Et puis l’inoubliable Birago Diop eut ses mots : « Vous voulez tous devenir des poètes. Ce n’est pas possible. Circulez. »
Pas gentil ? Que si ! Le temps a fait la preuve ! Nous y croyions et c’est comme si finalement nous avions gagné. Rien n’est impossible à celui qui croit !