Par Sylvia Chebet
Le Dr Faustine Engelbert Ndugulile, qui a grandi dans des zones rurales et urbaines de Tanzanie, s'est rendu compte très tôt des contraintes liées aux soins de santé dans son pays natal.
Les taux de mortalité maternelle et infantile atteignaient des sommets, ce qui témoignait d'un échec systémique dans la lutte contre les décès évitables.
Le flux constant de données sanitaires désastreuses a profondément affecté ce jeune homme consciencieux.
Il décide d'étudier la médecine et de se consacrer à la valorisation de chaque vie menacée par la maladie, le manque d'hygiène et une faible immunité.
Des décennies plus tard, en tant que législateur diplômé en microbiologie et immunologie médicales, en santé publique et en droit, le Dr Ndugulile s'exprimera avec éloquence devant un groupe d'éminents spécialistes sur son parcours, de médecin en herbe à directeur régional élu de l'OMS pour l'Afrique.
"J'ai réalisé les limites de mon rôle de technocrate dans le secteur de la santé. Je m'attachais principalement à traiter les individus plutôt que de m'attaquer aux problèmes systémiques sous-jacents", a-t-il déclaré aux ministres africains de la santé qui l'ont sélectionné pour ce poste.
"Pour poursuivre ma mission et mes aspirations, j'ai choisi d'exercer une fonction publique afin d'amplifier ma voix à l'échelle nationale, régionale et mondiale. Grâce à mon expérience en tant que ministre et député, j'ai pu travailler à la réalisation de cet objectif et je suis maintenant impatient d'apporter à l'OMS Afrique mon expertise en matière de technique, de politique et de perspectives axées sur les personnes", a-t-il indiqué.
Le candidat, plein d'esprit, posé et énergique, avait réveillé la séance de l'après-midi, qui s'était ouverte après deux longs entretiens avec ses concurrents.
C'était en août 2024, lors de la 74e session régionale de l'OMS Afrique à Brazzaville, la capitale de la République du Congo.
Le Dr Ndugulile, choisi pour prendre la direction régionale de l'OMS Afrique en février 2025, est décédé à peine trois mois plus tard alors qu'il suivait un traitement médical en Inde, mettant un terme à une carrière exceptionnelle consacrée à la recherche désintéressée de l'équité en matière de santé publique sur le continent. Il n'avait que 55 ans.
Visionnaire de la santé
Les remarques formulées par Ndugulile lors de l'entretien du mois d'août ont séduit les membres du panel, notamment par la facilité avec laquelle il a abordé les questions, allant de ce qui, selon lui, fait dérailler les systèmes de santé en Afrique à ses stratégies pour éviter que le continent ne soit victime d'une future pandémie potentielle.
L'enjeu était de taille pour l'homme politique tanzanien, qui se présentait en outsider face à trois adversaires ayant fait une longue carrière au sein de l'OMS, au secrétariat et au niveau régional.
Il était opposé à Ibrahima Socé Fall, du Sénégal, actuellement directeur du programme mondial de l'OMS sur les maladies tropicales négligées, à Boureima Hama Sambo, du Niger, et à Richard Mihigo, du Rwanda, qui ont tous deux travaillé à l'OMS pendant 17 et 18 ans respectivement et ont représenté divers bureaux de pays à travers le continent.
Félicitant le Dr Ndugulile pour sa victoire, le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a rendu un vibrant hommage à son engagement en faveur de la santé publique.
"Le Dr Ndugulile a gagné la confiance des États membres de la région pour être élu prochain directeur régional de l'OMS pour l'Afrique. C'est un grand privilège et une très grande responsabilité. Toute la famille de l'OMS en Afrique et dans le monde entier et moi-même vous soutiendrons à chaque étape de votre parcours".
Le Dr Ndugulile estime que l'OMS Afrique a besoin d'un "leader transformationnel ayant la vision et les antécédents nécessaires pour conduire le changement et non d'un leader transactionnel qui maintiendra le statu quo".
Il se considère comme une personne "apte à jouer ce rôle" en raison de son expérience de médecin, d'homme politique et de technocrate qui a été vice-ministre de la santé, ministre des technologies de l'information et de la communication et député en Tanzanie.
Ses fonctions de conseiller auprès des Centres de contrôle des maladies (CDC) en Afrique du Sud et de vice-président de l'Union interparlementaire (UIP), un groupe consultatif mondial sur la santé, lui ont permis d'approfondir ses connaissances sur les systèmes de santé, la politique et le terrain du continent.
Le Dr Ndugulile souscrit à l'idée que "la santé est une politique, et qu'une bonne santé publique est une bonne politique".
Selon lui, il manque à l'Afrique le "catalyseur final", à savoir l'engagement des décideurs et des dirigeants politiques qui prennent des décisions sur les budgets et les priorités d'investissement.
"Ma vision est de voir l'Afrique comme une région où chaque individu prospère avec une santé et un bien-être optimaux, soutenus par des systèmes de santé accessibles, équitables et durables", a-t-il dit au panel de ministres qui l'interrogeait.
L'importance de l'OMS
L'Afrique doit faire face à une centaine d'urgences de santé publique chaque année, avec des systèmes de santé qui doivent être améliorés.
Le changement climatique, la diminution du soutien des donateurs et les maladies endémiques transmissibles et non transmissibles sont autant de points de douleur supplémentaires pour des systèmes de santé publique déjà surchargés.
Le Dr Ndugulile s'inquiète du fait que certains remettent même en question la pertinence de l'OMS pour le continent.
"L'OMS est toujours pertinente, mais nous devons être attentifs aux besoins des États membres. Nous devons être capables d'intégrer le programme de santé de l'Afrique sur la scène mondiale", a-t-il affirmé au cours de l'entretien.
L'Afrique n'est toujours pas sur la bonne voie en ce qui concerne de nombreux objectifs de développement durable (ODD) que le monde a convenu d'atteindre d'ici 2030.
"Ma mission est de soutenir l'effort final pour atteindre les objectifs de développement durable liés à la santé", a-t-il expliqué.
À six ans de l'échéance fixée pour la réalisation des OMD, le docteur Ndugulile a l'intention de se lancer dans une stratégie ancrée sur quatre grandes priorités : faire respecter le droit à la santé, se préparer à la prochaine pandémie, intégrer l'engagement politique et disposer d'un mécanisme régional de l'OMS solide, ancré dans des bureaux de pays efficaces.
Plus de la moitié de l'Afrique subsaharienne ne bénéficie toujours pas d'une couverture sanitaire universelle. La région enregistre 70 % des décès maternels dans le monde et connaît également une forte augmentation des maladies non transmissibles, qui sont à l'origine de plus de 30 % des décès enregistrés sur le continent.
Cette réalité a troublé le Dr Ndugulile.
Un droit fondamental
Lors de son élection, le défunt directeur régional élu a déclaré qu'il donnerait la priorité aux solutions visant à optimiser la promotion de la santé et la prévention des maladies, à améliorer l'accès à des services de santé de qualité et abordables, et à résoudre les problèmes liés à la pénurie de ressources humaines dans le secteur de la santé.
Considérant les soins de santé comme un droit fondamental, il entend promouvoir l'utilisation de la technologie pour faire progresser les soins de santé et réduire la charge de morbidité.
Le Dr Ndugulile souhaite également un financement durable des soins de santé et une utilisation efficace des ressources dans les bureaux de l'OMS et dans les États membres.
Grâce à ce manifeste bien articulé, son élection a suscité un sentiment d'espoir pour la région.
Il devrait prendre ses fonctions après confirmation de sa nomination lors de la 156e session du conseil exécutif de l'OMS à Genève, en Suisse, en janvier 2025.
La question que tout le monde se pose aujourd'hui est la suivante : Qui concrétisera la vision non réalisée du Dr Ndugulile ?