Émigration clandestine : Modou Thiaw, le miraculé devenu ‘’avocat’’ des migrants !

Émigration clandestine : Modou Thiaw, le miraculé devenu ‘’avocat’’ des migrants !

Le rêve brisé, Modou Thiaw se résigne à rentrer dans son Touba Toul natal, auprès des siens.
Modou Thiaw / Photo TRT Africa

Par Mamadou Thiam

La quête désespérée d'un lendemain meilleur a poussé des milliers de jeunes africains à tenter l'aventure, au péril de leurs vies. Modou Thiaw est de cette catégorie, lui qui a déjà connu deux tentatives infructueuses.

Arrêté en Algérie après un passage en Mauritanie, ce natif de Touba Toul (dans la région de Thiès), a vécu l'enfer dans le désert du Niger, avant d'être rapatrié, malgré lui, au Sénégal. A 40 ans, il tente aujourd’hui de reconstruire sa vie. Très engagé, il est devenu la voix des migrants rapatriés et porte le combat de milliers de jeunes sénégalais, toujours animés par le désir de défier l’océan et ses vagues meurtrières.

« Réussir pour aider nos familles ou mourir et rejoindre ceux qui nous ont devancés » ! Telle est la devise de Modou Thiaw, au moment où il prit la ferme décision de quitter le Sénégal pour rejoindre l'Europe. Nous sommes en 2008 et le jeune homme ne voit pas son avenir se réaliser dans le pays qui l’a vu naître. Âgé de 25 ans, ce marchand ambulant, après un passage en prison (NDLR : Il avait été arrêté lors d’une rafle des autorités contre les vendeurs à la sauvette), décide de tenter sa chance.

« Pour cette première tentative, j'ai pris la décision, seul. Lors de cette année 2008, j'étais marchand ambulant. A cette époque, les autorités avaient décidé de chasser les marchands ambulants qui squattaient le marché Centenaire. Malheureusement, je faisais partie des personnes arrêtées. J'ai passé une semaine en prison, avant d'être libéré, tout comme mes autres camarades d'infortune. Avec un peu de recul, j'ai décidé de plonger dans l'agriculture. Grâce à un cousin qui est ingénieur agronome, j'ai pu acquérir des connaissances dans ce domaine que j'aime bien d'ailleurs », confie Modou.

« Mais pour pratiquer l'agriculture, il faut des moyens. A côté des problèmes de terre et autre financement, il y a la réalité du marché. Nous avions fait un prêt de trois millions pour débuter. Mais à la récolte, on ne parvenait pas à vendre. Nous sommes dans un pays où les petits agriculteurs sont étouffés par les fermés étrangères. Ils exportent leurs produits de qualité à l'étranger et inondent le marché sénégalais de leur pourriture. Et cela, sous le regard complice de l’État. Après un temps de réflexion, je me suis rendu compte qu'il n'était pas opportun de rester à ne rien faire. La situation du pays nous oblige à agir et de ne pas être des observateurs. A chaque fois que tu commences à avoir de l'espoir, ils finissent par tout anéantir. Donc, il fallait partir, à tout prix », se remémore -t-il.

Les petits boulots entre Richard-Toll et Nouakchott !

Des immigrés clandestins./Photo : AA

Contrairement à d'autres qui planifient leur voyage en un temps record, Modou avait opté pour un processus à long terme. Le but visé demeure l'Europe, mais il fallait y aller, étape par étape. C'est ainsi qu'il quitte son Touba Toul natal, direction Richard Toll, dans le nord du Sénégal. Là-bas, il y passera un mois à récolter le riz. Il se fait une petite santé financière, avant de poursuivre son chemin.

« Au moment de partir, j'avais à peu près 300 mille avec moi. Mais j'avais un plan bien précis. Il consistait à faire le voyage par étape et à travailler en cours de route. Ma première étape a été Richard Toll. Là-bas, j'ai travaillé durant un mois comme saisonnier. Cela avait coïncidé avec la récolte du riz paddy. Depuis Richard-Toll, j'ai traversé le fleuve pour me retrouver à Nouakchott, la capitale mauritanienne. Sans tarder, j'ai prolongé jusqu'à Nouadhibou, car on m'avait informé qu'il était plus facile de trouver là-bas des pirogues en partance pour l'Espagne. Cela n'a pas été facile, car à mon arrivée, je n’ai pas pu trouver immédiatement de pirogue. J'ai décidé de faire les petits boulots pour gagner un peu d'argent », explique Modou.

« Après avoir tant patienté sans trouver de pirogue, j'ai décidé de revenir sur Nouakchott. Là-bas aussi, cela n'a pas marché. Je me suis résolu à prendre la voie terrestre, à partir de Zouerate, pour rejoindre l'Algérie. Mais nous ne savions pas que c'était le début du calvaire pour nous », renseigne-t-il.

En quittant la Mauritanie, ils avaient tous payé pour un voyage jusqu’en Algérie. Mais il n'en sera rien. Après des heures de route, Modou et ses compagnons seront jetés à 30 kilomètres de la frontière algérienne. Ils ne le savent pas encore, mais c'est le début de leur souffrance.

« Nous avions espoir que cette fois-ci, ça allait marcher. Mais notre surprise sera énorme quand les convoyeurs nous ont abandonnés dans le désert, à 30 kilomètres de la frontière algérienne. Sur place, il y avait des gardes partout. Et il fallait forcer le passage pour espérer se retrouver sur le territoire algérien. Certains parviennent à les semer et entrer sans problèmes. D'autres sont malheureusement arrêtés, comme ce fut notre cas. Pourtant, nous étions déjà en Algérie, mais épuisés. Nous avions pris la décision de marquer une petite pause pour nous reposer, avant de progresser. Et c'est durant ce temps que les gardes ont réussi à nous encercler. C'était la fin de notre rêve », se rappelle-t-il, le regard lointain.

Assamaka, Arlit, Agadez... L'enfer du désert nigérien

L'espoir de rejoindre l'Europe s’est définitivement envolé en terre algérienne. Et pourtant, le chemin de ces jeunes pour le retour au pays ne sera pas du tout facile. Regroupés comme du bétail, ils seront jetés dans le désert, à la frontière nigérienne.

Les migrants clandestins africains font des voyages difficiles dans le désert. Photo : AP Archive Getty

« Une fois arrêtés, les migrants sont rassemblés dans un endroit hautement surveillé, situé à Adrar. Ils vont par la suite organiser un grand convoi. A partir de Tamanrasset, les migrants sont jetés dans des camions, comme du bétail, dans des conditions inhumaines, direction le désert nigérien où ils seront abandonnés à la frontière. Sous la menace, nous n'avions pas d'autre choix. Il fallait continuer la route, dans l'espoir de tomber sur quelque chose », raconte Modou.

Sur le chemin du retour au pays natal, Assamaka sera la première étape pour ces migrants arrêtés en Algérie. Ils vont finalement se retrouver à Agadez, après une période de trois à quatre mois de transit à Arlit. Mais dans ces différentes bases, Modou Thiaw et ses amis ne gardent pas de bons souvenirs.

« Une fois sur le territoire nigérien, nous allons découvrir une autre forme de violence. A Assamaka, l'OIM (NDLR : Organisation internationale pour les migrants), qui est une organisation financée par l'Union européenne, récupère les migrants. Leur méthode est simple: vivre sur le dos de ces derniers. Ils récupèrent l'argent au nom des migrations, mais les conditions dans lesquelles ces derniers vivent sont pénibles. La bouffe n'est pas bonne et personne ne peut en parler. Plus notre séjour est long, plus ils amassent de l'argent. Il a fallu une révolte des migrants pour que la décision de les acheminer à Arlit soit prise. Sur place, le supplice va durer au moins un mois. Notre ultime étape sera Agadez où il faudra passer au moins deux, trois, voire même quatre mois, avant d'être rapatrié au Sénégal », informe-t-il.

Le difficile retour à la case de départ !

Le rêve brisé, Modou Thiaw se résigne à rentrer dans son Touba Toul natal, auprès des siens. A 40 ans, il doit se chercher un chemin. Avant de quitter l’aéroport international Blaise Diagne de Dakar, il avait reçu, à l’image de ses camarades, des assurances des autorités sénégalaises. Il s’agissait notamment de financement.

« Les autorités avaient pris l'engagement d'accompagner les migrants de retour dans leurs domaines d'activité. Mais jusqu'au moment où je vous parle, personne n'en a bénéficié. Personne n'a eu une formation ou un accompagnement », se désole-t-il.

L’ex marchand ambulant semble nourrir des regrets, surtout que certains de ses camarades ont réussi à entrer en Europe.

« Avec le recul, je peux dire que j'ai des regrets. Ma première tentative remonte à 2008. Je regrette de ne pas avoir insisté, comme les autres. Nous aimons tous notre pays, mais la situation d'aujourd'hui ne nous permet pas d'espérer. Nous avons des familles, nous avons des femmes et des enfants. Mais nos autorités ne nous donnent pas le choix. La frustration est générale et nous n'avons que deux options. Il s’agit de réussir et prendre en charge nos familles ou mourir et rejoindre ceux qui nous ont devancés », avance-t-il.

Des migrants secourus se reposent sur une côte à l'est de Tripoli, en Libye, en juillet 2019. Photo : AP archive

Marié et père de deux enfants, Modou Thiaw doit se réinventer pour s’insérer dans la société.

« J’avais essayé de me lancer dans l'élevage de poulets de chair. J'avais même déposé un projet au niveau de la DER. Mais jusqu'à présent, pas de suite. Ils te font courir de gauche à droite. J'aime l'agriculture et c'est un domaine que je maîtrise le mieux. Mais je ne dispose pas de terre, ni de moyens pour la pratiquer. Et dans notre pays, le métier d’ouvrier agricole n'est pas valorisé. Ceux qui font travailler les gens, payent entre 35 et 40 mille f CFA. Ce n'est pas assez pour des pères de familles que nous sommes », se désole Modou Thiaw.

De candidat à "avocat" des Migrants !

A Touba Toul, la vie de Modou Thiaw se résume à de petits travaux pour joindre les deux bouts. Âgé aujourd’hui de 40 ans et ayant laissé l’école à la classe de CEM2, il consacre son temps à lutter contre l’émigration clandestine. Très actif sur les réseaux sociaux où il répond au nom de Baye Fall Thiao, Modou multiplie les plateaux de télévisions. Il est devenu un lanceur d’alerte et invite sans cesse l’Etat à agir pour mettre fin à cette tragédie.

« Les jeunes ne prennent pas de pirogues par plaisir. Ils vivent dans des conditions difficiles et rien n’est mis en place pour les soulager. Ce sont des jeunes qui aiment profondément leur pays. S’ils vont jusqu’à prendre ce risque, c’est tout simplement pour venir en aide à leurs familles. La responsabilité de l’Etat est engagée. Nous sommes des citoyens et nous avons droit à un travail décent. Nous invitons l’Etat à déployer de gros moyens pour endiguer ce fléau. Je pense que c’est bien possible, s’il y a vraiment une volonté. J’ai fait deux tentatives et je pouvais même mourir dans la mer ou dans le désert. C’est une chance pour moi d’être encore ici et d'en parler. On ne doit pas fermer les yeux sur ce drame social», alerte-t-il.

Décidé à porter la voix des migrants, Modou Thiaw a mis en place un groupe de discussion, composé essentiellement de migrants rapatriés au Sénégal. Une plateforme qui leur permettre de dérouler leurs activités, mais également d’être en contact avec les organisations de la société civile travaillant dans le domaine des questions migratoires.

« Ce n'est pas facile de se relancer, après avoir échoué. Dans ton entourage même, tu es considéré comme un fou. Tu ne représentes rien, contrairement à ceux qui ont tenté l'aventure et qui ont réussi à entrer en Europe. La frustration est quotidienne et cela peut te pousser à emprunter un chemin non voulu. Donc, il est important de parler constamment aux jeunes. Ils ont besoin d’un suivi, mais surtout de subventions pour pouvoir mener des activités qui vont les fixer définitivement dans le pays », suggère-t-il.

Conscient que les choses peuvent changer, Modou Thiaw tente aujourd’hui de raisonner les jeunes qui rêvent de quitter le pays. Lui-même ancien candidat à l’émigration, il oeuvre pour que son message puisse atteindre ces milliers de jeunes qui périssent sur les routes de la mort.

« Si j'ai vraiment un conseil à donner aux jeunes, ce serait avant tout de leur demander de ne pas sacrifier leur jeunesse."

Modou Thiaw

« Si j'ai vraiment un conseil à donner aux jeunes, ce serait avant tout de leur demander de ne pas sacrifier leur jeunesse. Certes, rester ici, les bras croisés, n'est pas la solution. Mais je pense que se lancer dans l'inconnu aussi n'est pas une option à encourager. C'est difficile, mais ils essayent de se construire, tout en espérant un lendemain meilleur. Moi je suis convaincu que si la jeunesse africaine se mobilise, elle peut changer la donne. D'ici cinq ou six ans, ce sont les Européens qui viendront les chercher et non l'inverse. Je leur demande de rester et de bâtir notre cher continent qui ne manque pratiquement de rien», insiste le natif de Touba Toul.