Forage pastoral à énergie solaire pour abreuver le bétail pendant la saison sèche au Cameroun. Photo : CADEPI

Par Firmain Eric Mbadinga

Lorsque les éléphants se battent, c'est l'herbe qui souffre. C'est ce que dit un proverbe puissant et poignant en swahili, qui reflète la façon dont la course au financement affecte l'aide alimentaire en Afrique et dans de nombreuses autres parties du monde.

Il y a quelques semaines, le Programme alimentaire mondial (PAM) a reconnu avoir des difficultés à répondre aux besoins croissants d'aide alimentaire dans le monde. L'agence des Nations unies a expliqué que cette situation était due à un déficit de financement de plus de 60 % cette année, le plus important de son histoire.

"Pour la première fois, le PAM a vu ses contributions diminuer alors que les besoins n'ont cessé d'augmenter", a déclaré l'agence, soulignant les contraintes budgétaires résultant d'une baisse des contributions provenant de sources multiples.

Le problème de financement est particulièrement important pour l'Afrique, où plusieurs pays ont besoin d'aide pour nourrir leurs millions d'habitants appauvris.

Djaouns Mandjiagar, conseiller régional du PAM pour la communication et le plaidoyer et porte-parole pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre, l'a vu venir.

"Pour mieux comprendre le problème de sous-financement que connaît le PAM, il faut tenir compte du contexte économique mondial", a-t-il déclaré à TRT Afrika.

"Depuis la pandémie, de nombreux gouvernements dans le monde ont connu une crise économique, à la fois exogène et endogène.

Conséquence logique, certains de nos donateurs n'ont pas été en mesure, du moins ces derniers temps, d'apporter le soutien nécessaire qui a souvent bien servi notre cause.

"La directrice de l'organisation, Cindy McCain, a fait une déclaration le mois dernier soulignant "le besoin urgent de fonds supplémentaires, au risque de voir 24 millions de personnes s'ajouter aux 40 millions déjà considérées comme étant en situation d'urgence alimentaire".

Inadéquation croissante

Des femmes font la queue pour recevoir de la nourriture distribuée par des volontaires locaux dans un camp de personnes déplacées en Somalie, 2019. Photo : AP

Selon M. Mandjiagar, la situation internationale actuelle s'explique par le fait que la consommation augmente constamment alors que les ressources s'amenuisent de jour en jour.

En juillet 2023, 45 % des bénéficiaires de l'aide en Syrie et un quart des personnes figurant sur la liste du PAM en Haïti ont dû être exclus. Il en va de même pour la Somalie, où 4,7 millions de personnes ont perdu l'accès à l'aide alimentaire de l'agence onusienne l'année dernière.

En Afrique de l'Ouest, les implications se traduisent par le fait que plusieurs opérations sont directement affectées.

"Au Burkina Faso, par exemple, le PAM a dû réduire l'aide alimentaire depuis fin 2021, réduisant de moitié les ressources pour au moins 800 000 personnes", a déclaré M. Mandjiagar.

Le Burkina Faso n'est pas un cas isolé dans ce réajustement de l'aide alimentaire en Afrique. Dans le cas de la République centrafricaine, le PAM a dû réduire la ration alimentaire destinée aux personnes déplacées et aux personnes affectées par l'insécurité alimentaire de 25% de la nourriture qu'elles devaient recevoir.

Le Tchad figure également sur la liste des pays dont les populations originaires ou déplacées ont vu leur part d'aide alimentaire diminuer. "Le Tchad accueille de nombreux réfugiés soudanais depuis avril dernier.

Ces personnes s'ajoutent à de nombreux anciens déplacés. Malheureusement, face à cette augmentation exponentielle des besoins, le programme n'a pas de ressources", a déclaré M. Mandjiagar.

Des attentes démesurées Dans les centres de distribution d'aide du PAM, le vocabulaire a changé. Les travailleurs ne parlent plus de rations alimentaires. On parle désormais de "demi-rations".

Face au flux croissant de réfugiés et de personnes touchées par l'insécurité alimentaire, principalement au Mali et au Niger, le PAM fournit des demi-rations aux personnes dans le besoin depuis 2021 en raison du manque de ressources.

Le problème de sous-financement auquel sont confrontées des ONG bien connues telles que le PAM a soulevé des questions sur la manière dont les ONG locales gèrent cette situation.

Au Cameroun, le Centre d'Appui au Développement local participatif Intégré (CADEPI), une ONG de droit camerounais, poursuit ses efforts même en ces temps de vaches maigres. L'ONG, qui compte 40 membres actifs, intensifie ses activités d'une manière plutôt inhabituelle.

Alors que l'approche la plus populaire pour lutter contre la faim est la distribution de nourriture, CADEPI se concentre principalement sur l'amélioration de l'accès des populations locales aux ressources naturelles, telles que l'eau et les terres arables, de manière équitable et durable. L'ONG opère dans les trois régions septentrionales du Cameroun : Adamaoua, Nord et Extrême-Nord.

Jeunes bénéficiaires de l'aide dans leurs champs de maïs à Mogodé, au nord du Cameroun. Photo : CADEPI

Dans ces régions, CADEPI soutient la production agricole en mettant à disposition des semences améliorées et des intrants, en promouvant la culture maraîchère et en organisant des sessions de renforcement des capacités.

L'ONG camerounaise travaille également à la restauration des pâturages et à la mise en place d'infrastructures pastorales pour les éleveurs. CADEPI utilise une approche participative et communautaire pour soutenir les bénéficiaires dans la prévention et la lutte contre la famine.

Cette approche permet aux populations locales de participer activement aux actions, ce qui se traduit par l'appropriation et l'adoption des activités et des objectifs.

"L'accent est mis sur la capacité des populations locales à capitaliser sur des pratiques saines de production et de gestion des récoltes. Cette approche contribue de manière significative au renforcement de la résilience des populations face à la famine", a déclaré le responsable de l'ONG, Khari Boukar, à TRT Afrika.

Au-delà du financement

À l'heure où même des organisations telles que le PAM éprouvent des difficultés à financer leurs actions de lutte contre la famine, l'ONG camerounaise affirme que sa principale ressource depuis plus de 20 ans est sa détermination et son engagement.

"La résilience est la clé dans ce domaine, et même dans les situations où le financement est rare, nous essayons du mieux que nous pouvons d'atteindre nos objectifs en matière de lutte contre la famine", a déclaré M. Boukar.

"L'interaction entre la famine, la pauvreté, la sécurité et le changement climatique est évidente dans le contexte actuel. Nous essayons de mener cette bataille avec les moyens disponibles, qu'ils soient matériels ou techniques".

Pour atteindre ses objectifs, la CADEPI s'appuie sur différentes sources de financement, y compris celles des bénéficiaires.

"Nous recevons un soutien de l'Union européenne, directement ou en partenariat avec des ONG internationales. D'autres financements peuvent également provenir du gouvernement à travers ses projets financés par différents bailleurs de fonds", explique M. Boukar.

Face à ces défis, le bureau du PAM pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre et les ONG africaines telles que CADEPI ont appelé à plus de générosité, de sensibilité et de bonne volonté de la part des bailleurs de fonds publics et privés.

TRT Afrika