La tempête publique déclenchée par le projet de loi de finances 2024 du Kenya s'est peut-être dissipée, mais elle a laissé dans son sillage un calme inquiétant auquel la nation d'Afrique de l'Est doit faire face.
La décision du gouvernement du président William Ruto de s'incliner devant les manifestants anti-impôts a conduit les trois grandes agences mondiales de notation à abaisser la note du Kenya de B à B-.
La dernière révision à la baisse a été effectuée par S&P le 23 août, ce qui l'a poussée encore plus loin dans ce que le marché du crédit appelle le territoire "junk" (poubelle).
"L'abaissement de la note reflète notre opinion selon laquelle les perspectives budgétaires et d'endettement à moyen terme du Kenya vont se détériorer à la suite de la décision du gouvernement d'annuler toutes les mesures fiscales proposées dans le cadre du projet de loi de finances 2024/2025", a déclaré l'agence de notation américaine.
Raymond Gilpin, économiste en chef pour l'Afrique au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), note que l'impact des dégradations de crédit se fera sentir non seulement sur les ressources du gouvernement, mais aussi sur le portefeuille du citoyen ordinaire.
"Le montant des intérêts payés par le Kenya sur sa dette augmentera probablement. Ceux qui prêtent au pays considéreront évidemment qu'il s'agit d'une proposition plus risquée et, par conséquent, les taux d'intérêt sur les obligations ou les prêts qui ne sont pas fixes pourraient augmenter", explique-t-il à TRT Afrika.
Lorsque les taux d'intérêt grimpent, il en résulte le plus souvent un effet domino, notamment une forte augmentation du coût des biens et des services.
Les économistes craignent même que l'augmentation du coût de la dette ne réduise le budget de l'État pour les investissements dans la création d'emplois et les secteurs sociaux tels que les soins de santé et l'éducation.
"Les données montrent que 750 millions d'Africains vivent dans des pays qui paient plus pour le service de la dette que ce qu'ils investissent dans la santé et l'éducation", analyse Gilpin.
Comment les pays sont notés
Les investisseurs et les émetteurs de dette s'appuient sur les agences de notation pour obtenir des informations sur les risques et les opportunités associés à un emprunteur souverain.
Les notes de crédit deviennent particulièrement importantes lorsqu'un investisseur externe n'est pas familier avec le contexte d'un pays spécifique, ce qui est généralement le cas dans les marchés émergents et en développement.
Le PNUD souligne que les notes de crédit souverain attribuées par S&P, Moody's et Fitch sont essentielles pour permettre aux économies émergentes et en développement d'obtenir des financements suffisants pour atteindre leurs objectifs de développement.
"Ces avis sont le résultat de l'examen des données macroéconomiques, institutionnelles et de gouvernance d'un pays spécifique et de la recherche d'un retour d'information sur le crédit de la part d'institutions et d'individus travaillant dans ou avec le pays", signale Gilpin.
Un tel système n'ouvre-t-il pas la voie à des manipulations ou à des influences indues ?
Le PNUD a récemment analysé les notations de crédit souverain dans les économies africaines afin d'en vérifier la partialité et a examiné le lien entre les notations et le processus de développement.
L'étude a exclu tout biais dans les notes de crédit de l'Afrique en raison de la méthodologie similaire appliquée dans le monde entier, bien qu'elle ait révélé des "subjectivités" dans les approches adoptées par les trois principales agences de notation.
Des subjectivités coûteuses
Les conclusions du PNUD montrent que les économies en développement ont été fortement touchées par les récentes révisions à la baisse de leurs notes de crédit, ce qui a entraîné une hausse des coûts d'emprunt et des risques accrus en matière de viabilité de la dette.
Environ 95 % des dégradations ont eu lieu dans les pays en développement, ce qui, reconnaît le PNUD, a eu un impact négatif sur leur capacité à lever de nouveaux capitaux et à maintenir les engagements pris.
L'étude a établi que pour parvenir à une conclusion juste, les agences de notation de crédit ont besoin d'une quantité importante de données et de capacités, ce qui leur fait défaut lorsqu'elles travaillent dans de nombreux pays africains.
"Si elles ne disposent pas de données, elles doivent porter des jugements subjectifs", indique Gilpin.
"Lorsque le PNUD a étudié 19 pays africains pour déterminer le coût de cette subjectivité, il en est ressorti 74 milliards de dollars. C'est plus que ce que l'ensemble du continent africain reçoit en aide chaque année".
Cela équivaut à 80 % des besoins annuels d'investissement en infrastructures de l'Afrique, estimés à 93 milliards de dollars.
Le coût de 74,5 milliards de dollars américains est une combinaison d'intérêts excédentaires perçus sur les prêts et les financements auxquels ces 19 pays ont renoncé.
Il ne s'agit là que de la partie émergée de l'iceberg, étant donné que l'étude ne couvre pas plus de 30 pays sur le continent.
"Il s'agit là de subjectivités que nous pouvons et devons corriger", déclare Gilpin.
"Nous avons la responsabilité de préserver notre avenir économique."
Le PNUD collabore avec plusieurs autres agences pour renforcer les capacités de recherche dans les pays africains afin de garantir que leurs processus de notation de crédit soient beaucoup plus objectifs et ne reposent pas sur les opinions d'experts qui ne vivent pas sur le continent.
M. Gilpin insiste sur le fait que la divulgation est primordiale. "Si un pays est déclassé à cause de X ou Y, il doit le savoir pour pouvoir y remédier", selon Gilpin.
Possibilité de réinitialiser
Au Kenya, l'administration du président Ruto est toujours aux prises avec la dette de 78 milliards de dollars du pays, le ministre des finances ayant indiqué au début du mois que le gouvernement prévoyait de lever environ 1,2 milliard de dollars en rétablissant certaines taxes impopulaires.
Même si l'économie risque d'être encore plus touchée par les récentes dégradations de la qualité de crédit, M. Gilpin voit un côté positif à cette situation.
"Un abaissement de la note peut laisser penser que le coût et le volume des investissements en souffriront, mais je le vois aussi comme une occasion de se remettre à zéro. C'est une bonne chose que le gouvernement kenyan jette un nouveau regard sur le projet de loi de finances - pour voir ce qui pourrait être reporté et supprimé afin d'équilibrer le budget", rassure-t-il.
"L'heure n'est pas au désespoir. Il est temps de corriger les déséquilibres structurels de l'économie kenyane".
S&P considère que les perspectives du Kenya sont "stables" malgré l'abaissement de la note, en citant "la forte croissance économique et l'accès continu à des financements extérieurs concessionnels".