"Nous avons constaté avec regret des violences ayant entraîné des destructions sur des biens publics et privés et, malheureusement, neuf décès à Dakar et à Ziguinchor" (sud), a dit le ministre de l'Intérieur Antoine Diome dans un court message diffusé par la télévision nationale dans la nuit.
Il a aussi confirmé que les autorités avaient restreint l'accès aux réseaux sociaux, ce qui a été constaté par exemple pour Facebook, WhatsApp ou Twitter.
"Ayant constaté sur les réseaux sociaux la diffusion de messages haineux et subversifs, l'Etat du Sénégal en toute souveraineté a décidé de suspendre temporairement l'usage de certaines applications digitales", a-t-il dit. Il a appelé au calme et assuré que l'Etat prenait "toutes les mesures" de sécurité nécessaires.
Le service de surveillance d'internet Netblocks a dit observer une "situation (qui) ressemble à celle observée en 2021". Le Sénégal avait alors été en proie à des émeutes meurtrières, qu'une interpellation de M. Sonko avait déjà contribué à déclencher.
M. Sonko, troisième de la présidentielle de 2019 et adversaire du président Macky Sall, a été condamné jeudi par une chambre criminelle à deux ans de prison ferme pour "corruption de la jeunesse", délit qui consiste à favoriser la "débauche" d'un jeune de moins de 21 ans.
Il était accusé de viols et menaces de mort contre une employée d'un salon de beauté où il allait se faire masser entre 2020 et 2021. L'employée, Adji Sarr, avait moins de 21 ans au moment des faits qu'elle dénonce.
La cour a acquitté M. Sonko des accusations de viols et menaces de mort.
L'enjeu était autant pénal que politique. La décision paraît, au vu du code électoral, entraîner l'inéligibilité de M. Sonko.
M. Sonko était absent au prononcé de l'arrêt, tout comme lors de son procès. Il est présumé bloqué par les forces de sécurité chez lui dans la capitale, "séquestré" selon lui.
Mais, après deux ans d'une confrontation avec les autorités qui a tenu en haleine le pays, il peut désormais être arrêté "à tout moment", a dit à des journalistes le ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall.
Sans attendre une telle arrestation, les troubles redoutés avant le délibéré ont éclaté à Dakar et dans plusieurs villes.
L'université de Dakar a pris des airs de champ de bataille. Des groupes de jeunes ont affronté à coups de pierres les policiers ripostant avec des gaz lacrymogènes.
Plusieurs cars de la faculté de médecine, du département d'histoire et CESTI, la principale école de journalisme du pays ont été incendiés et des bureaux saccagés.
En dehors de ces foyers de violence, les rues de Dakar ont été désertées.
Des affrontements et des saccages de biens publics, de magasins et de stations essence ont été rapportés à Dakar et dans sa banlieue, mais aussi à Ziguinchor (sud), où plusieurs personnes ont été tuées, à Mbour et Kaolack (ouest) ou Saint-Louis (nord).
"Séquestré"
M. Sonko n'a cessé de nier les accusations en criant à la machination du pouvoir pour l'écarter de la présidentielle.
"Ce verdict sur commande est l'ultime étape du complot ourdi par Macky Sall et ses sbires", a réagi dans un communiqué le parti de M. Sonko, Pastef, qui a appelé les Sénégalais à "descendre dans la rue" et les forces de l'ordre à se joindre à eux.
La patronne du salon de beauté Sweet Beauté, Ndèye Khady Ndiaye, a été également condamnée à deux ans de prison ferme pour incitation à la débauche, mais acquittée de complicité de viols.
"Nous sommes satisfaits de la culpabilité de Sonko", a dit à la presse Me El Hadji Diouf, avocat d'Adji Sarr. Mais 20 millions de FCFA (30.000 euros) de dommages et intérêts, c'est peu pour les "souffrances" qu'elle a endurées, a-t-il déploré.
L'éligibilité de M. Sonko est déjà compromise par une récente condamnation à six mois de prison avec sursis pour diffamation contre un ministre.
"Que tous les Sénégalais le sachent: Ousmane Sonko ne peut plus être candidat", a dit un de ses conseils, Me Bamba Cissé.
Depuis février 2021 que l'affaire de viols présumés défraie la chronique, M. Sonko est engagé dans un bras de fer avec le pouvoir pour sa survie judiciaire et politique.
Avant les évènements de cette semaine, une vingtaine de civils avaient été tués depuis 2021 dans des troubles largement liés à sa situation. Le pouvoir et le camp de M. Sonko s'en rejettent la faute.
Un autre facteur de tension est le flou entretenu par le président Macky Sall sur son intention de briguer ou non un troisième mandat.