Par Solomon Dersso
Il s'agit du huitième coup d'État réussi en Afrique depuis avril 2020. À l'exception du Tchad et du Soudan, tous les coups d'État sont concentrés dans la région de l'Afrique de l'Ouest touchant le Mali (deux coups en août 2020 et mai 2021), le Burkina Faso (deux coups d'État en janvier 2022 et septembre 2022), la Guinée (en septembre 2021) et maintenant le Niger.
Tous les coups d'État, sauf celui au Soudan, ont eu lieu dans les anciennes colonies françaises.
En tant que dernier pays du Sahel central à être sous régime civil, le coup d'État du Niger établit une ceinture de coup d'État à travers le Sahel qui s'étend de la Guinée sur la côte atlantique de l'Afrique de l'Ouest jusqu'au Soudan sur la côte de la mer Rouge.
Bien qu'il soit le dernier d'une série de renversements de régimes dans la ceinture sahélienne, le coup d'État au Niger constitue un tournant. Il a beaucoup plus d'importance régionale et stratégique que les précédents changements de régimes.
Avant de discuter des implications régionales et stratégiques du coup d'État, il est important d'essayer de donner un sens à l'ensemble des facteurs qui ont rendu le coup d'État possible.
Premièrement, le moment du coup d'État révèle l'existence d'une cause directe. L'intervention de l'armée a eu pour empêcher le projet annoncé par le président déchu de remplacer le chef de la Garde présidentielle.
Démocratie fragile
Deuxièmement, comme l'ont démontré les manifestations qui ont eu lieu dans le pays, au début de l'année, le Niger n'a pas échappé à la vague de sentiment anti-français qui a soufflé sur une grande partie des anciennes colonies françaises.
Cela n'a pas dissuadé le gouvernement de Niamey, en particulier sous le président Bazoum, aujourd'hui déchu, de renforcer ses liens avec l'Occident, notamment la France.
Le Niger est devenu la nouvelle plaque tournante de la base militaire française et de son opération anti-terroriste au Sahel, malgré des oppositions au sein de la population nigérienne.
La déconnexion qui en a résulté entre l'administration du président Bazoum et les nigériens est devenue évidente avec l'absence d'une opposition populaire significative à la destitution d'un gouvernement démocratiquement élu.
Troisièmement, le coup d'État a révélé la vacuité du discours sur la démocratie nigérienne. Il est apparu clairement que la promotion de la démocratie internationale n'avait pas plus de substance que le développement rituel centré sur les élections et dirigé par les élites et la coopération en matière de sécurité.
Effondrement institutionnel
Ainsi, mettant en lumière l'incapacité à répondre aux besoins socio-économiques de la population et aux exigences de sécurité, le coup d'État du Niger est le dernier clou sur le cercueil des illusions que l'on peut avoir sur la promotion de la démocratie, ainsi que sur la coopération au développement et à la sécurité au Sahel.
De plus, il est possible d'identifier au moins six implications régionales et stratégiques du coup d'État au Niger, ce qui en fait un événement marquant.
Premièrement, en tant que coup d'État qui visait un président démocratiquement élu, il a suscité une inquiétude compréhensible selon laquelle, s'il n'est pas renversé, aucun gouvernement dans la région de l'Afrique de l'Ouest et au-delà ne pourrait être à l'abri d'un renversement de régime.
Deuxièmement, le coup d'État du Niger a sérieusement mis en doute l'avenir du Groupe des cinq pays du Sahel (G5 Shale) qui sert de mécanisme régional commun de lutte contre le terrorisme au Sahel, qui a été affaibli avec le retrait du Mali.
Troisièmement, pour l'Union africaine et l'organisme régional, la CEDEAO, qui ont combattu les coups d'État, le coup d'État du Niger met en lumière l'inefficacité avec laquelle ils ont géré les autres coups d'État. Cela signale que les normes anti-coup d'État de ces institutions multilatérales se sont effondrées.
Revers pour l'Occident
Quatrièmement, dans le contexte de la rivalité géopolitique en cours au Sahel opposant l'Occident à la Russie et à la Chine, le coup d'État au Niger fait planer le spectre de voir le dernier pays du Sahel central (devenu la cheville ouvrière de la coopération occidentale), effectuer une grande ouverture vers la Russie, y compris le célèbre groupe Wagner.
Cinquièmement, le Niger revêt une importance stratégique pour l'opération internationale de lutte contre le terrorisme au Sahel.
C'est là où la base française s'est installée après le retrait des soldats français du Mali. Le Niger abrite également la principale base de drones américaine en Afrique. Ainsi Il y a environ 1,000 soldats américains stationnés dans le pays.
Si le coup d'État n'est pas inversé, ce qui est devenu de plus en plus probable, la France risque de perdre sa base, portant un coup dur à la stratégie française au Sahel.
Pour les États-Unis, le coup d'État entraînerait la suspension de la coopération militaire et d'autres coopérations économiques également.
Dans l'ensemble, cela pourrait entraîner une perte non seulement pour la France et les États-Unis, mais aussi pour d'autres pays occidentaux qui utilisent le Niger comme base pour leur coopération et leurs opérations de sécurité au Sahel.
Vulnérabilités
Sixièmement, d'un point de vue géostratégique, ce coup d'État a des implications directes pour la sécurité énergétique en Europe, en particulier pour la France. La France obtient un pourcentage important de l'uranium qui alimente ses centrales nucléaires du Niger.
Avec l'annonce par la junte de la suspension de l'exportation d'uranium du Niger, le coup d'État a eu un impact direct et immédiat.
Bien qu'il ait ébranlé les stratégies et les relations existantes, le coup d'État au Niger est également l'occasion de repenser les approches continentales et internationales de la promotion de la démocratie et de la coopération au développement et à la sécurité en Afrique.
Comme l'ont affirmé les recherches d'Amani Africa sur le terrorisme, un tel changement de paradigme nécessite des interventions politiques qui se concentrent « sur les vulnérabilités et les fragilités ainsi que sur les pathologies de gouvernance politique et socio-économique qui créent les conditions à la fois pour l'émergence et… la résilience des groupes terroristes ».
Au-delà d'une focalisation sur le secteur de la sécurité, la coopération au développement et à la sécurité doit mobiliser ''le même niveau, sinon plus d'injection d'assistance technique, de ressources financières et de formation d'expertise civile. Elle doit être centrée sur la gouvernance, les questions économiques et sociales auxquels sont confrontées les populations locales y compris les secteurs liés à la sécurité.''
L'auteur, le Dr Solomon Dersso, est un ancien commissaire de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, le premier organe des droits de l'homme de l'UA. Il est également le directeur fondateur d'Amani Africa, un groupe de réflexion panafricain indépendant sur la recherche, la formation et le conseil en matière de politiques.
Avertissement : Les points de vue exprimés par l'auteur ne reflètent pas nécessairement les opinions, points de vue et politiques éditoriales de TRT Afrika