À Freetown, la capitale, Anima Mangola, 28 ans, savoure du riz avec des feuilles de manioc en ragoût. « Je mangerais du riz cinq fois par jour si j'avais de l'argent », dit-elle, alors que son prix a plus que doublé cette année. Tout le monde ne peut pas suivre, et « les gens souffrent », dit-elle.
Les experts attribuent la flambée des prix à la forte dépendance à l'égard des importations, qui fournissent 35 % du riz de la Sierra Leone et engloutissent 200 millions de dollars par an en devises étrangères.
L'Afrique de l'Ouest a une longue tradition de culture du riz et dispose d'excellentes terres, mais selon les experts la dépendance à l'égard des importations était due à un manque d'investissement dans l'agriculture, à une croissance démographique galopante et à l'attrait de riz bon marché en provenance d'Asie.
Le ministre de l'agriculture de la Sierra Leone, Henry Kpaka Musa, a accusé le Fonds monétaire international d'avoir fait pression sur la Sierra Leone dans les années 1980 pour qu'elle cesse d'investir dans l'agriculture et ouvre ses marchés aux importations comme condition à l'obtention de prêts.
« Nous avions l'habitude d'exporter du riz », a déclaré Kpaka lors d'une interview.
Aujourd'hui, lui et le président Julius Bio envisagent de recommencer. Le gouvernement a obtenu plus de 620 millions de dollars des banques mondiales de développement cette année pour travailler à l'autosuffisance alimentaire, notamment en riz. Les experts du centre de recherche Africa Rice, basé en Côte d'Ivoire, ont salué ce plan comme étant « ambitieux et tourné vers l'avenir ».
Mais les ONG et les universitaires avertissent qu'il favorisera l'agro-industrie internationale et les grandes exploitations, au détriment des 5 millions de petits exploitants agricoles du pays. Ils rappellent que des tentatives similaires d'autosuffisance alimentaire ont échoué au Burkina Faso et au Ghana.
Défis et potentiel de l'autosuffisance
La Sierra Leone possède le meilleur climat et les meilleures terres de la région pour la culture du riz. Cependant, le ministre Kpaka a mis en évidence les obstacles à l'autosuffisance en riz : le mauvais état des routes reliant les zones de riziculture aux marchés, le manque de fiabilité de l'électricité pour la transformation, le changement climatique et le manque d'accès au financement.
Avec le soutien financier des banques de développement, il a approuvé des plans visant à améliorer les routes vers les trois principaux « bols de riz » du pays, à créer de vastes zones de terres irriguées et à fournir des engrais, des semences et des pesticides aux petites exploitations agricoles.
« Le plan commence par les infrastructures afin d'attirer le secteur privé », a-t-il expliqué. Il a fait la promotion de ce plan auprès d'investisseurs internationaux non spécifiés, en leur offrant des milliers d'hectares de terres irriguées.
Mais certains pensent que les petits exploitants, qui représentent 70 % de la population du pays (8 millions d'habitants), ne seront pas pris en compte.
L'avis des producteurs
Les leaders et producteurs agricoles étaient tous unanimes pour dire qu'ils n'étaient pas optimistes quant à l'aide du gouvernement. Ils ont déjà entendu parler de ces plans ambitieux.
« Nous ne recevons pas de soutien du gouvernement », a regretté un petit exploitant et chef de village, Eric Amara Manyeh.
La préoccupation la plus fréquente est le manque de main-d'œuvre pour créer des champs irrigués. L'élimination de la végétation et le creusement de canaux sont laborieux, et l'exode des jeunes vers les zones urbaines oblige les agriculteurs à employer de la main-d'œuvre, ce qui représente un coût exorbitant pour beaucoup. Bien que le taux de chômage soit élevé dans les villes, Manyeh explique que les jeunes préfèrent des emplois plus faciles, comme conduire des motos-taxis.
Certains agriculteurs ont constitué des collectifs pour partager le travail, mais le manque d'outils ralentit les progrès. Dans le cadre d'un projet soutenu par le gouvernement à Bo, le creusement de 60 hectares de canaux a pris trois mois à 82 personnes.
Une mise en garde
L'objectif de la Sierra Leone de mettre des engrais chimiques, des semences et des pesticides à la disposition des petits exploitants vise à reproduire la révolution verte en Asie, qui a permis d'augmenter la production de riz de plus de 100 % en vingt ans.
Mais Klara Fischer, professeur de développement rural à l'université suédoise des sciences agricoles et spécialiste de l'Afrique subsaharienne, a averti que cette approche exposait les agriculteurs aux géants de l'agro-industrie tels que Bayer Crop Science et Syngenta.
Une initiative intitulée « Une révolution verte pour l'Afrique », soutenue par des fondations internationales, a dépensé plus d'un milliard de dollars depuis 2006 pour améliorer l'accès des petits exploitants aux engrais et aux semences, mais sa propre évaluation en 2022 a montré qu'elle n'avait pas amélioré la sécurité alimentaire.
Il n'est pas démontré que la fourniture d'engrais et de semences augmentait les rendements ou les bénéfices des petits exploitants. Pire, 41 % des riziculteurs avaient du mal à rembourser leurs dettes.
« Ces paquets d'engrais et de semences sont liés à des intérêts privés », a signalé Mme Fischer qui insiste aussi sur les différences entre l'Asie des années 1970 et la situation actuelle en Afrique.
L'une d'entre elles est la main-d'œuvre familiale bon marché et disponible en Asie, comparée à l'exode rural en Sierra Leone.
Kpaka, ancien employé du département agricole de la Fondation Gates, a reconnu l'existence de certaines préoccupations, mais il est convaincu que son plan contient l'ingrédient manquant pour débloquer la croissance : l'infrastructure essentielle pour aider les agriculteurs à transformer et à vendre leur riz, ce qui les inciterait à en cultiver davantage.
« Si nous ne construisons pas la route, (les agriculteurs) resteront à jamais dans une logique de subsistance », a-t-il précisé.
Une voie différente
D'autres pensent que la Sierra Leone devrait consacrer ses fonds à des mesures qui favorisent les petites exploitations agricoles plutôt que les grandes entreprises.
Joseph Randall, directeur d'une ONG environnementale en Sierra Leone, Green Scenery, a estimé que le gouvernement devrait soutenir des pratiques durables telles que le compost organique au lieu de devenir dépendant des engrais chimiques importés, généralement d'Europe ou d'Amérique du Nord, qui contribuent fortement au réchauffement de la planète.
Randall s'oppose à la distribution de semences modernes, même si elles ont un meilleur rendement. Les variétés hybrides de riz ne peuvent pas être conservées et replantées chaque année parce qu'elles sont sélectionnées par des entreprises agroalimentaires et font l'objet de brevets.