Par Firmain Eric Mbadinga
L'année 2023 pourrait rester dans les annales climatiques comme l'une des années ayant enregistré les températures les plus élevées au monde, entraînant de fait de nombreuses conséquences dont des feux de forêts, voire des pertes en vies humaines.
Dans l'État de Californie aux États-Unis, par exemple, le thermomètre a atteint les 54°C, tandis qu'au Maroc, le mercure est monté à 50 °C. Et dans le secteur agropastoral, ces fortes températures ont perturbé l'activité des acteurs en réduisant parfois leurs productions.
Kambamboli Tankoano est dans le secteur agropastoral depuis plus de 15 ans.
Ses champs et son cheptel de bœufs et de moutons s'étendent sur des centaines d'hectares dans la région de l'Est du Burkina Faso, précisément dans la commune de Diapangou, au village de Ountandeni. En plus de l'élevage, Kambamboli Tankoano cultive du soja.
Pour cet amoureux de la terre, également directeur exécutif d'une coopérative d'éleveurs et agriculteurs locaux, la hausse de chaleur provoquée par El Niño, a été infernale sur l'ensemble de ses activités.
''Aux titres des impacts de la hausse de la chaleur sur les activités des agriculteurs et éleveurs, nous pouvons noter entre autre l'écourtement des saisons, la modification des cycles de nos cultures, l'augmentation des maladies phytosanitaires (causées par les pesticides), l'augmentation du stress thermique et hydrique agroalimentaire'', explique Kambamboli Tankoano.
Niveau comptable, Kambamboli Tankoano souligne une baisse de la productivité à partir du mois de juillet 2023, qui correspond selon l'Organisation météorologique mondiale ,au déclenchement cette année de l'effet El Niño.
''Nous avons identifié des poches de sécheresse fréquentes marquées par des tarissements précoces des points d'eau utiles pour l'arrosage de nos champs ou encore pour l'abreuvage des bêtes. Il y a également la limitation de la production des contres-saisons, les pertes de ressources naturelles. Notre secteur qui est constitué de bovins et de caprins pour l'essentiel, a aussi été impacté par la limitation d'espaces de pâturage verdoyants'', détaille le producteur agropastoral.
Pour Ndague Diogoul, entre autre chercheur au Centre de Recherche Océanographique de Dakar Thiaroye au Sénégal, les faits décrits par Kambamboli Tankoano au Burkina Faso sont en effet imputables à El Niño dont les effets modifient les schémas météorologiques, influent sur la disponibilité de l'eau, les rendements agricoles, mais aussi la distribution des espèces marines.
''Les impacts varient considérablement d'une région à une autre. Dans la région sahélienne de l'Afrique, par exemple, caractérisée par un climat semi-aride, les schémas climatiques modifiés peuvent intensifier les périodes de sécheresse, mettant en péril l'approvisionnement en eau pour l'irrigation et les besoins des populations locales.
Ndague Diogoul explique que les ressources hydriques limitées de la région sahélienne à laquelle appartient le Burkina Faso sont soumises à une pression accrue, et que les conditions sèches peuvent altérer la qualité des pâturages, créant des défis pour les communautés dépendantes de l'élevage. De plus, la variabilité accrue des rendements agricoles peut poser des défis pour la sécurité alimentaire, tandis que des épisodes d'inondations soudaines peuvent accroître les risques dans certaines zones.
Dans son explication, la chercheuse inclue aussi les effets marins du phénomène El Niño. ''Des études récentes ont également démontré un déplacement des sardinelles vers le nord sous l'effet du réchauffement des eaux, modifiant ainsi la carte des pêches dans cette région'' ajoute Ndague Diogoul.
Comme l'ont expliqué d'autres scientifiques, la hausse de température enregistrée en 2023 s'est fait ressentir à travers le monde. En Afrique centrale aussi, même si le constat peut se faire à des degrés quelque peu différents.
Boris Efoua Aba'a éleveur de bovins à Libreville au Gabon dit aussi à voir constaté une hausse inhabituelle de la température cette année qui s'est accompagnée de nombreuses perturbations dans son élevage.
''Dans notre exploitation, nous nous sommes rendu compte qu'en fonction de la chaleur qui augmentait, la saison sèche qui habituellement dure trois mois (de juin à août), est allée à 4 mois, voire un peu plus'', raconte l'éleveur.
''Avec cette sécheresse qui dure, la rareté de l'eau se fait ressentir dans les exploitations. Dans les nôtres qui sont en zones rurales et où on a difficilement accès à l'eau de pompe ou de forage, cela a constitué une grosse difficulté. Nous travaillons plus avec des puits d'eau, ces puits tarissent vous rendant la tâche très dure pour la survie des bêtes.
Or, plus l'eau est rare, plus la croissance des animaux est perturbée, car dans l'élevage, il y a certes l'alimentation, mais il y a aussi l'apport en eau qui est très important'' explique Boris Efoua Aba'a.
Dans l'étude des effets d'El Niño des pays comme le Gabon sont aussi pris en compte.
''Dans la zone centrale de l'Afrique, les impacts potentiels d'El Niño incluent des modifications des schémas de précipitations susceptibles d'affecter également l'agriculture et la disponibilité des ressources en eau. Les conditions météorologiques plus sévères peuvent accroître le risque d'incendies de forêt, impactant la biodiversité et les écosystèmes'' a indiqué Ndague Diogoul, entre autre chercheur au Centre de Recherche Océanographique de Dakar Thiaroye.
L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a indiqué avoir préparé un plan destiné à réduire l'impact du phénomène El Niño sur les agriculteurs et sur la sécurité alimentaire des populations les plus vulnérables.
Selon la FAO ce plan de 160 millions de dollars vise à réparer les berges des fleuves pour éviter des inondations, afin d'aider les pêcheurs à protéger leurs bateaux avant une tempête, distribuer des semences plus résistantes à la sécheresse, stocker des médicaments vétérinaires à l'avance.
L'organisation a donné la priorité à des actions dans 34 pays en Afrique, en Asie, dans le Pacifique, en Amérique latine et dans les Caraïbes, qui devraient profiter à 4,8 millions de personnes d'ici mars 2024. Pour réaliser ce plan, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture doit encore parvenir à réunir les 125 millions manquants au montant global.