Dès l'aube, des silhouettes tout en muscles s'affairent près des pirogues sur les berges de la rivière Oubangui dans la capitale de la Centrafrique. Les pêcheurs de sable à Bangui risquent leur vie et leur santé, pour ce matériau indispensable dans la construction.
Armés de leurs pagaies, leurs pelles et d'un précieux seau spécialement tressé pour ne retenir que le sable, Odilon Salima et un camarade chantent pour se donner du courage avant le labeur.
"Sous l'eau, j'ai le seau que je dois remplir et mon collègue se charge de charger la pirogue avec le sable, jusqu'à atteindre la quantité demandée", détaille le pêcheur de 36 ans qui s'enfonce parfois à 3 mètres de profondeur pour récolter jusqu'à 35 kilos.
Nourrir sa famille
"Tous les jours on risque notre vie pour nourrir nos familles", souffle ce père de deux enfants, dans le métier depuis six ans.
Il gagne 10.000 FCFA par jour, l'équivalent de 15 euros, et la moitié est consacrée à la location de sa pirogue. Mais la moyenne pour les plongeurs est plutôt de 7.000 francs (10,5 euros) pour des journées de 12 heures de travail.
Même si son revenu est deux fois plus élevé que la moyenne dans le pays, Odilon souffre. "J'épargne une partie pour payer la scolarité des enfants, prendre soin de ma famille", confie le plongeur.
L'ONU estimait qu'en 2023, plus de la moitié de la population ne mangeait pas à sa faim et 56% dépendait de l'aide humanitaire en Centrafrique, classée parmi les quatre pays les moins développés au monde.
Odilon se plaint de "problèmes d'ouïe, de maux de tête, au dos, voire aux poumons et des problèmes respiratoires", "mais notre santé est le dernier de nos soucis", lâche Odilon, ajoutant : "avec nos dépenses à la maison, il ne reste presque rien pour consulter un bon médecin et acheter des médicaments".
"Les plongées avec des mouvements répétitifs et intenses peuvent entraîner des blessures articulaires ou des lésions des muscles", détaille le docteur Max-Benjamin Bagaza, de l'hôpital général de Bangui, à propos des rares pêcheurs de sable qui se résignent à le consulter.
La menace de la noyade, fréquente, plane également sur ces plongeurs qui n'ont ni gilets de sauvetage, ni bouteilles d'oxygène. Mais aucune statistique n'est disponible dans ce métier du secteur informel.
"Une fois, avec le vent violent, la pirogue s'est retournée, (...) un de nos collègues, hélas, est mort noyé", se remémore Odilon Salima.
Chômage
Les pêcheurs de sable n'ignorent pas le risque mais, dans un pays où 71% de la population vit sous le seuil de pauvreté (avec moins de 2 euros par jour), selon la Banque mondiale, ils sont attirés par la promesse de rémunérations plus élevées que la moyenne.
La plupart étaient au chômage avant d'accepter les risques. Pour Janet Botsilia, c'était il y a 10 ans. "Nous sommes dans un pays où trouver du travail est presque impossible, c'est pire pour nous qui sommes sans diplôme", lâche cet homme de 42 ans.
Autrefois plongeur, il est aujourd'hui président de l'Association des pêcheurs de sable et propriétaire de 14 pirogues qu'il loue.
"C'est grâce à ce métier que nous tous ici, y compris les jeunes qui travaillent pour moi, arrivons à faire vivre nos familles" affirme l'entrepreneur.
Pour garantir la sécurité des plongeurs, ce secteur doit entrer dans l'économie formelle, comme l'explique l'économiste Didace Sabone. Mais "pour le rendre formel, il faut du matériel et des engins lourds" et "beaucoup de moyens", tempère-t-il.
Le sable, comme partout ailleurs dans le monde, est un matériau indispensable dans l'industrie du bâtiment et des travaux publics: mélangé au ciment, il sert notamment à confectionner parpaings et béton.
Bangui et son million d'habitants ne cesse de s'étendre et les chantiers se multiplient, la demande est forte. Les entrepreneurs dépensent 30.000 FCFA (45 euros) pour 8 m3 de sable de l'Oubangui.
La Centrafrique n'importe pas de sable, elle le puise dans l'Oubangui et ses affluents dans les autres villes comme à Bangui, ou dans des carrières.
Ce pays d'Afrique centrale a été ensanglantée par une énième guerre civile qui a débuté en 2013. Elle a baissé d'intensité depuis 2018 pour se transformer en guérilla dans les campagnes et la capitale est, pour l'heure, relativement paisible.