Les noms africains donnés à la naissance ont souvent une grande importance et révèlent toute une conception de la vie (Photo: Reuters)

Par Firmain Eric Mbadinga

Clovis Kakule Mutsuva est compté parmi le million d'habitants de la ville de Béni située dans la région du Nord-Kivu en RDC. Les deux noms qu'il porte, Clovis les présente et les prononce de façon très solennelle chaque fois qu'il en a l'occasion.

Dans son entourage, tout le monde sait que Clovis est fier de ses patronymes typiquement africains, parce qu'il en maîtrise la signification et les valeurs socio-culturelles.

''Je vais commencer par le nom Kakule parce que c'est le nom de ma tribu. Kakule, c'est le nom que l'on attribue au 4ᵉ fils d'une lignée dans la communauté Nandé. Ce nom est attribué dans le même temps au dernier parmi les garçons, à celui qui a donc la tâche de servir les aînés, filles comme garçons.'' expose Clovis Kakule Mutsuva à TRT Afrika.

Dans la cosmogonie Nandé, Kakule est également le gardien des richesses de sa famille.

Son deuxième nom, Mutsuva, il l'a hérité de son grand-père qui était chef de village et leader respecté. Le fait qu'il soit très souvent considéré comme un meneur à son tour, Clovis le met sur le compte du destin.

''Dès mon jeune âge, j'ai toujours été leader. Au collège, ça toujours été comme ça'', renchérit Clovis Kakule Mutsuva.

La présentation que vient de faire Clovis sur ses noms et leur sens, certains Africains de son âge ou moins ne sont en effet pas en mesure de la faire et pour moult raisons.

Ike Kassa, enseignante à Libreville au Gabon, a confié pour sa part ignorer le sens et la symbolique de son nom.

De même, Alioune Diop de Dakar dit avoir peu d'informations sur la connotation de son nom, que l'on retrouve dans diverses ethnies au Sénégal et au Mali.

Les scientifiques de la trempe de Bernardin Minko Mve ont fait de l'onomastique leur spécialité. Le professeur gabonais confirme que pour le cas de l'Afrique, notamment avant la période coloniale et l'arrivée des religions, les noms ne se donnaient pas par hasard.

Un événement heureux ayant lieu le jour d'une naissance, les circonstances de la grossesse ou de l'accouchement ou même l'abondance d'une saison agricole pouvaient inspirer des noms en fonction de la culture et des rites.

''Les patronymes que l'on attribuait aux nouveau-nés étaient chargés d'une identité, de valeurs morales et culturelles. Il y a par exemple des noms qui sont spécifiques à certains clans dans lesquels ces noms ont un sens précis. Le nom confère à celui qui le porte la charge liée à la signification ou à la représentation de ce nom'', explique Bernardin Minko Mve, enseignant-chercheur en anthropologie à l'université Omar Bongo de Libreville.

Clovis Kakule Mutsuva en pleine prise de parole à l'Assemblée nationale de la RDC. (Photo : Clovis Kakule Mutsuva)

Le sens des mots

À Lomé, Fernand fait partie des personnes dont l'identité africaine peut aussi bien se mesurer à partir du nom que des prénoms. Son nom tient en deux syllabes  : ''Tona''. Et ses deux prénoms africains que sont : "Agbéwonannou" et "Yaovi", requièrent de la précision et une bonne articulation pour être bien prononcés.

Au Togo, son pays, ses noms et prénoms sont bien plus que de simples mots.

''Mon prénom usuel officiel sur mes papiers d’identité est Agbéwonannou. Il s’agit d’un prénom de l’ethnie ‘ouatchi ou ‘éwé’ du sud Togo qui signifie littéralement : 'C’est la vie qui sous-tend les réalisations'. En d’autres termes, ' tant qu’on vit, on espère réaliser de grandes choses'. Du coup, j’ai fait de ce prénom une philosophie de vie. Je réponds aussi aux prénoms de Yaovi (petit Yao). Yao est attribué aux garçons nés un jeudi chez les ethnies Ouatchi et Ewé du Togo. Il en est de même pour les garçons nés un jeudi au Bénin, au Ghana ou encore en Côte d’Ivoire."

"Mon nom de famille ‘’Tona’’ est la forme abrégée de ‘’Tonatoméléo’’ qui signifie : “Je n’ai pas de confident”, confie le spécialiste en communication à TRT Afrika.

Le cas de Tona est l'exemple par excellence de l'onomastique africaine, dont les noms comme Chaka Zulu (ancien roi zulu d'Afrique du Sud), Soundiata Keita (figure emblématique de l'empire mandingue), rappellent l'authenticité culturelle africaine précoloniale.

''Lorsque le christianisme rentre dans nos sociétés, il apporte des influences en termes de mœurs, de pratiques et de cultures. C'est ainsi que les prénoms ont fait leur entrée avec l'introduction du calendrier qui a pour chaque jour de l'année un prénom qui lui est mis en parallèle. Donc, la date de naissance était une date à partir de laquelle on allait consulter le calendrier avant de vous attribuer un prénom en plus de votre nom.''.

L'anthropologue gabonais Bernardin Minko Mve ajoute qu'en plus des prénoms figurant sur le calendrier, en fonction de la zone linguistique, de nombreuses importations de noms et de prénoms sont de plus en plus constatées en Afrique. Il impute cette forme de métissage à la mondialisation et à l'aura que peuvent avoir certaines stars du sport ou du divertissement.

Ce métissage onomastique conduit les experts à parler de mutation post-moderne, avec, dans certains cas, des combinaisons de prénoms du père et de la mère pour obtenir le prénom de l'enfant.

À ce propos, le magazine « Magicmama » a, dans un de ses articles, recensé les compositions de Noé et Méline pour avoir Noeline, Claire et Mathis pour Clarisse.

Hormis l'Afrique où les noms ont une histoire et un sens en fonction des tribus ou des cultures, les Indiens d'Amérique font partie des peuples dont les noms étaient, avant la colonisation, étroitement liés à la cosmogonie et aux croyances locales.

Au-delà du mot utilisé uniquement pour distinguer ou identifier quelqu'un, le nom était presque perçu comme un totem et il était très souvent donné par un chaman.

Celui-ci consultait à son tour les esprits ou la nature avant de le trouver.

TRT Afrika