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Par Firmain Éric Mbadınga

Combien perçoivent par mois Allassane Outtarra, Faure Gnassimbé, Félix Tshisékédi ou encore Macky Sall?

Si ''tout travail mérite salaire'', les émoluments du premier magistrat du pays suscitent l'intérêt de l'opinion et la divilguation du montant de ce salaire est, pour le grand public, symbole de transparence et de bonne gouvernance en Afrique. D'où cette question : ''Combien perçoivent nos chefs d'État et qui fixent leurs salaires ?''.

Cette interrogation est presque aussi vielle que les indépendances des pays africains si l'on considère en effet que c'est à partir de cette période que beaucoup de pays, d'Afrique francophone notamment, ont vu s'installer à leur tête des chefs d'État qui soient eux-mêmes africains.

Mais par la suite, avec la nature de certains régimes à la tête de ces états, la question des salaires des chefs d'états est devenue presque tabou, en Afrique centrale particulièrement.

C'est pourquoi que la décision prise le 18 octobre dernier par Brice Oligui Nguema le président de transition du Gabon, de "renoncer" au salaire de président durant la transition, a ravivé la curiosité de certains concernant le montant de ce salaire, au-delà de l'accueil plutôt positif de cette annonce.

Toute question liée au salaire du président s'inscrit dans une sorte d'omerta (loi du silence)

Jacques Matand' Diyambi

En Afrique , le revenu mensuel des présidents semble encore entouré de mystères.

''Il y a comme un plafond de verre sur cette question. C'est comme si c'était un sujet tabou'', remarque Joëlle Samia Samognho diplômée en science politique qui vit à Libreville. ''Dans notre pays, parler du salaire du président relève un peu des sujets interdits. C'est un peu comme si on voulait savoir combien touche le chef de famille. Peu d'informations sont disponibles sur le sujet'', avance t-elle.

De son côté, le jounaliste congolais Jacques Matand estime que "toute question liée au salaire du président s'inscrit dans une sorte d'omerta (loi du silence)".

Si peu d'informations semblent disponibles sur le sujet, comme le suggèrent Samia du Gabon et Jaques Matand de la RDC, notons néanmoins qu'en aout 2021, le site ''Business insider africa'' spécialisé sur les questions financières dévoilait un classement avec les 5 premiers présidents africains les mieux payés.

Et selon ce classement, le président camerounais Paul Biya avait le meilleur salaire annuel fixé à 620.976 dollars, le roi du Maroc avec 488.604 dollars venait en 2ᵉ position, suivi de l'ancien président Uhuru Kenyatta du Kenya avec 192.200 dollars, Yowerı Musevenı de l'Ouganda venait en 5ᵉ position avec 183.216 dollars.

Le même rapport établissait qu'en Afrique de l'Ouest, le présent ghanéen Akufo Addo et Alassane Ouattara venaient en tête de liste, le premier cité ayant un salaire mensuel de 6300 dollars.

Au Sénégal par exemple, le président Macky Sall à qui il ne reste que quelques mois au pouvoir, après avoir renoncé à briguer un nouveau mandat, avait déclaré en avril 2017 avoir ''pris un décret qui plafonnait l’ensemble des salaires au Sénégal. Aucun salaire ne dépasse, depuis 2013, 5 millions de francs CFA au Sénégal".

A l'instar du le Sénégal, certains pays africains font des efforts dans la définition d'un salaire fixe des présidents, et en matière de transparence dans ce sens.

Le président sénégalais Macky Sall / Photo : Page Facebook Macky Sall

Au Gabon, à défaut d'avoir une idée précise du salaire du président, auquel a renoncé Brice Oligui Nguema le temps de la transition, un rapport établi en 2018 par Mays Mouissi, analyste économique franco-gabonais, aujourd'hui à la tête du ministère de l'Économie, indique qu'''en cumul, un ministre d’État perçoit en moyenne 6,5 millions de FCFA par mois.

Comme les ministres, les ministres d’État bénéficient de frais de mission lors de leurs déplacements au Gabon et à l’étranger. Le barème des frais de mission des ministres d’État ne nous ont pas été communiqués'' expliquait le nouveau ministre.

Balla Doumbıa, enseignant-chercheur, Docteur en sociologie orientée vers le droit, soutient que la différence d'approche au sujet des salaires des présidents africains souffre du fait que ''dans la plupart des constitutions, le salaire du chef de l'État n'est pas défini''.

''Pour savoir le salaire du chef de l'État, il faut aller dans le cadre légal. Dans l'espace francophone, on considère que le président est une institution. Dans ce cas, pour savoir quel est le salaire du président, lorsqu'on établit le budget de l'État, on prend en compte l'ensemble des éléments qui composent les services du président de la république".

La caisse noire

Une caisse dite 'caisse noire' avait été mise en place afin de permettre au chef de l'État de déjouer des menaces étrangères, et cela faisait partie à cette époque du salaire du chef de l'État

Dr Balla Doumbia

"Ça veut dire que dans aucune loi des finances, vous ne verrez un chapitre consacré au chef de l'État'', ajoute Dr Balla Doumbia.

''Ce que l'on verra, ce seront uniquement les indemnités. Dans les années 1960, après les indépendances, les chefs d'Etat étaient investis d'un certain nombre de pouvoirs qui ne sont pas toujours très visibles. Parlant par exemple de l'aspect politique, une caisse dite 'caisse noire' avait été mise en place au départ afin de permettre au chef de l'État de déjouer des menaces étrangères, et cela faisait partie à cette époque du salaire du chef de l'État'' explique le Dr Balla Doumbia.

Le Dr Balla Doumbia évoque l'exemple du Mali sous la 1ʳᵉ et 2ᵉ République, les chefs d'Etat disposaient de salaires élevés en raison de la charge présidentielle, et notamment le caractère "secret d'Etat" de certains dossiers.

''Avec l'avènement de la démocratie au Mali en 1992 déjà, on a eu à faire la part des choses. Ces services qui relevaient du secret d'État, les services de sécurité de l'État inclus, vont être détachés de la gestion directe du chef de l'État", argumente l'expert.

"Dès lors, le président va définir lui-même, ce qui est très bizarre, son propre budget car les institutions ont le droit, selon des dispositions constitutionnelles, de définir leur propre loi organique'' ajoute -t-il.

À en croire l'enseignant chercheur, la loi des finances, en se basant sur la loi organique, fixe le salaire du chef de l'État. Selon Dr Balla Doumbıa cette disposition devra au préalable être examinée par la cour constitutionnelle qui évaluera sa conformité avec la constitution.

''Si la loi organique de la présidence propose des primes ou indemnités qui sont exagérées et qui peuvent mettre à mal les dépenses publiques, cette loi organique peut être retournée'', explique le Dr Balla Doumbia.

Selon les pays et les organisations internes de ces derniers, le mécanisme de définition du salaire du président de la République peut varier et être, dans certains cas, peu connu du grand public, ce qui a pour conséquence de renforcer les diverses interprétations fondées ou non.

TRT Afrika