Par Mamadou Thiam
Alors que Dakar semble retrouver sa quiétude après quelques jours agités, l’heure est à l’évaluation des dégâts à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD).
Au lendemain des violents affrontements notés dans la capitale sénégalaise, le temple du savoir garde encore les stigmates, témoignant ainsi le passage mouvementé des manifestants.
Suite au verdict rendu par le tribunal dans le dossier opposant Ousmane Sonko à l’ex masseuse Adji Sarr, l’université avait été prise pour cible par des pilleurs. Dans leur furie, ils n’avaient rien épargné.
"Nous avons tous constaté avec désolation le visage de l’université (au lendemain des pillages). Et à l’image de l’Ucad, il y a aussi eu des destructions par exemple à l’université de Ziguinchor", a déploré le ministre de l’enseignement supérieur, le Pr Moussa Baldé.
"Dieu merci, les autres universités du Sénégal ont été relativement préservées en termes de destruction. Ce que nous voyons ici, c’est une entreprise de gens qui avaient comme objectif de mettre l’université sénégalaise à genou, de bloquer l’université Cheikh Anta Diop qui est un symbole pour le Sénégal et pour l’Afrique", a ajouté la ministre.
"C’est quand même l’une des plus vieilles d’Afrique et qui a formé au moins quatre présidents de la République. Donc, c’est un symbole qui a été visé. C’est un emblème, au même titre que le TER (Train Express Régional), le BRT (Bus Rapid Transit), là où le Sénégal a des avantages comparatifs ", s’est-il désolé.
Une désolation partagée par le Pr Amadou Aly Mbaye, Recteur de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Et c’est avec beaucoup d’amertume qu’il tente de faire l’état des lieux.
"Nous avons pu nous rendre compte que la quasi-totalité du parc roulant a été mis à genou. Il n'y a pratiquement plus de bus. Il en est de même pour une bonne partie des salles et amphithéâtres qui sont totalement indisponibles. Les archives des personnels administratifs et enseignants ont aussi brûlé. Il en est de même pour les archives des étudiants et des diplômés, notamment à la Faculté de Médecine et à la Faculté des Lettres et sciences humaines", renseigne le Recteur.
"Parc automobile mis à genou"
Au niveau du campus social, les dégâts sont aussi énormes. Bus, bureaux, arbres, rien n’a été épargné. Les débris éparpillés un peu partout témoignent de la violence des manifestants. Directeur du centre des œuvres de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (COUD), Maguette Sène peine à trouver les mots pour décrire la situation.
"C’est avec le cœur meurtri que nous avons constaté tous ces dégâts au niveau de l’université Cheikh Anta Diop. Au niveau du campus social, la direction a été incendiée et saccagée. Les bureaux de nos collaborateurs ont aussi été saccagés. La salle Omar Pène qui a été inaugurée il y a de cela quelques mois, a été totalement saccagée et rendue hors d’usage", déplore M.Sène.
"Ils ont également brûlé les bus destinés au personnel. Au nombre de huit, ils assurent le transport pour les agents qui rentraient dans la banlieue et les quartiers périphériques. Le plus écœurant dans ces pillages, c’est la destruction de l’environnement au sein du Coud. Nous avons vu des arbres arrachés. Ça montre que leur intention était de mettre l’université à genou", a -t-il ajouté.
Un chapiteau de 700 millions brûlé
Au niveau de la Faculté de Droit, les dégâts sont énormes. Un chapiteau flambant neuf d’un coût de 700 millions de FCFA ( plus d'un million d'euro) a été complètement incendié.
Presque six jours après ces événements malheureux, les deux responsables de l’université, à savoir le Recteur et le Directeur du Coud, ont reçu le ministre de l’Enseignement supérieur pour évaluer les dégâts.
Mais la tâche s’annonce difficile, tellement les pillards ont laissé des traces. Pour le Recteur, il est encore tôt pour se faire une idée précise sur le bilan des dégâts.
" Nous sommes en train de faire le comptage des dommages que nous avons eu à subir. Le processus n'étant pas encore achevé, on ne peut pas dire l'ampleur des dégâts. Nous entendons beaucoup d'estimations fantaisistes qui ne reposent sur rien du tout. Il faut comprendre qu'à ce stade, il n'y a que les autorités des Facultés et du Rectorat qui sont à mesure de vous donner des informations fiables. Ces autorités sont en train de passer en revue les dégâts", a expliqué Amadou Aly Mbaye.
"Une plainte a été déposée pour identifier les coupables. Mais nous sommes toujours en train de faire l'état des lieux. Et au moment opportun, on parlera à l’opinion, pour vous donner des chiffres exacts sur l’étendue des dommages", précise M. Mbaye.
Les étudiants désertent le campus
Jadis endroit bouillant avec des allées bondées d’étudiants, l’université Cheikh Anta Diop ressemble aujourd’hui à un village fantôme.
Dès les premières heures des manifestations, certains avaient jugé nécessaire de quitter les lieux. Beaucoup d’entre eux ont rejoint leurs familles ou des connaissances installées dans la capitale sénégalaise.
"Je loge au Pavillon À, l'endroit le plus exposé de l’Ucad, car faisant face à la porte principale. A chaque fois qu’il y a des troubles, nous sommes les premiers à en subir les conséquences. J’avais prévu de rentrer, mais c’est mon oncle qui a précipité mon départ. Quand il a entendu que la situation était tendue à l’Université, il m’a immédiatement appelé pour me demander de rentrer. J’ai eu la chance de quitter les lieux avant que ça ne dégénère", nous confie Ousmane, étudiant à la Facultés des Lettres.
Si certains peuvent tranquillement rejoindre leurs familles à Dakar, d’autres n’ont pas cette opportunité.
N’ayant presque pas de parents dans la capitale, ils sont dans l’obligation de regagner leurs régions ou villages d’origine. C’est le cas de Adama Sow, un étudiant en deuxième année en Histoire et géographie.
"Cette situation ne pénalise que nous, étudiants qui n'avons pas de parents à Dakar. J'ai été dans l’obligation de quitter Dakar pour rejoindre les miens, à plus 500 kilomètres au nord du pays. J’attends de voir la suite que les autorités vont donner pour envisager un retour à Dakar", nous informe ce natif de Ourossogui, dans la région de Matam (nord du Sénégal).
De lourdes sanctions
Dans leur colère noire, les manifestants ont saccagé le Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI), une école où on forme des journalistes.
Ils ont mis le feu aux bus destinés aux étudiants, avant de brûler l’amphithéâtre feu Eugénie Rokhaya Awa, du nom d’une ancienne directrice de l’établissement.
Face à cette situation que rien ne saurait justifier, les autorités réclament des sanctions exemplaires pour les auteurs, une fois identifiés.
"Quand un étudiant saccage la direction du Coud, l'administration, les bus qui transportent le personnel, les bureaux des professeurs, les amphithéâtres, cela veut dire que celui-là a décidé que ses études se terminent. Ça aussi, il faut que ça soit clair. Pour ce cas précis, des enquêtes seront faites et les auteurs sanctionnés", prévient le Pr Moussa Baldé, ministre de l’Enseignement supérieur.
Au niveau de la Direction du Coud, au-delà des sanctions, il faudra repenser la question de la sécurité dans l’espace universitaire. A en croire Maguette Séne, il y va de l’intérêt de tous.
"Il va falloir beaucoup de temps pour réparer tout ce qui a été saccagé. Mais l’université va rester debout. Le Sénégal va continuer à rester debout et nous sommes assez responsables pour pouvoir nous relever et continuer à faire notre mission. Il faudra réfléchir profondément sur le système sécuritaire. Et je crois que les autorités sont habilitées à prendre les décisions qui s’imposent", a suggéré le directeur du COUD.
"Nous sommes à un tournant décisif et il va falloir que des mesures fortes soient prises pour que les responsables de ces saccages et pillages soient punis, conformément à la loi. Mais il faudra aussi que des réformes courageuses soient apportées pour que cela ne se reproduise plus".
Le Recteur abonde dans le même sens. Pour Amadou Aly Mbaye, l’université doit être un creuset de l’excellence.
"Ce que nous pouvons faire à ce stade, c’est regretter que l’université soit attaquée à ce point. L’université doit être le point de convergence de la nation. On y trouve toutes les obédiences politiques, religieuses. Tout le monde a besoin de connaissances. Ce qui s’est passé est incompréhensible. Mais nous allons nous réunir dans nos instances pour d’abord partager le constat que nous venons de faire et voir ce qu’il y a lieu de faire pour le futur immédiat et pour l’avenir de l’université", a-t-il ajouté.
Menace sur l'année accadémique?
Les scènes de violence constatées dans les campus social et pédagogique de l’université et le climat politique très tendu n’ont pas laissé indifférente l’autorité.
Ainsi, pour éviter de nouvelles intrusions de ces "casseurs et brûleurs" dans l’espace universitaire, le rectorat ne veut prendre aucun risque.
Dans un communiqué très bref, le Recteur, par ailleurs président de l’Assemblée de l’université, a décidé de suspendre les enseignements jusqu’à nouvel ordre.
Ce qui représente une menace pour l’année académique, déjà fortement perturbée. Une telle situation n’est pas du goût de certains étudiants.
"Les affaires politiques ne devraient pas nous concerner. Manifester avec des violences et des destructions, c'est hypothéquer notre propre avenir. Je ne vois pas l'intérêt de saccager nos propres installations. C'est nous-mêmes qui sommes pénalisés. Tout est à l’arrêt et nous ne savons pas quand est-ce que nous allons reprendre les cours", se désole Arfang Mané, originaire du sud du pays.
Si le Recteur a déjà pris les devants pour tout suspendre jusqu’à nouvel ordre, l’autorité supérieure semble avoir une autre idée.
Pour le ministre de l’Enseignement supérieur, il faudra rien n’est encore perdu. Le Pr Moussa Baldé estime qu’il faudra explorer toutes les pistes à leur disposition.
"Vous savez que nous avons une université qui fait des enseignements en ligne. Ce qui est devenu la 13éme université du Sénégal en termes d'effectif. Je pense que nous avons des choses à explorer dans ce domaine. Nous allons voir comment faire de telle sorte que les universités sénégalaises puissent reprendre les cours", a affirmé le Pr Baldé.
"Tous les étudiants qui veulent étudier, tous les professeurs et toutes les autorités académiques et le conseil d'administration de l'académie vont s'employer comme les autres universités, à faire reprendre les cours, le plus rapidement possible. Ça, ce sont les instructions que j'ai eu à donner et je pense qu'on devrait y arriver dans les meilleurs délais », a assuré le ministre.