Faute de traitement pour son cancer disponible à l'hôpital public de Harare, Agnes Kativhu, comme tant au Zimbabwe, s'est rabattue sur une des innombrables officines d'herboristes bourgeonnant dans la capitale.
"Je ne veux plus jamais retourner à l'hôpital!", clame cette femme de 67 ans, atteinte d'un cancer du sein.
"Parce que ça m'arrache le coeur qu'ils ne m'y aient pas donné un seul comprimé", raconte cette malade entre les murs aux couleurs passées d'un cabinet de fortune tenu par un médecin traditionnel.
Ni agréés, ni contrôlés, les herboristes zimbabwéens, même sans preuve d'efficacité de leurs traitements, sont courus d'une partie de la population, à la fois méfiante envers la médecine conventionnelle et délaissée par le système de santé publique.
Le plus grand hôpital public du Zimbabwe, Parirenyatwa, n'a par exemple plus un seul appareil de mammographie en état de marche depuis 15 ans. Et sa machine de traitement par radiothérapie est la seule accessible au public dans tout ce pays d'Afrique australe de 17 millions d'habitants.
"On reconnaît qu'un seul appareil, c'est insuffisant", convient Nothando Mutizira, responsable du service d'oncologie à Parirenyatwa. "Mais on parvient à fournir des soins de radiothérapie avec ce seul appareil", assure-t-elle.
À l'instar d'autres hôpitaux publics confrontés à la crise économique qui frappe le Zimbabwe, Parirenyatwa manque de médicaments, d'équipements et même de personnel, car les médecins et les infirmières partent à l'étranger, en quête de meilleurs salaires.
Appels aux donsCertains hôpitaux font des appels aux dons de comprimés et d'équipements de base comme des gants ou des seringues. "Il n'y a pas de médicaments", résume tout simplement Simbarashe James Tafirenyika, président d'un syndicat d'infirmiers.
Même lorsqu'un hôpital dispose d'équipements, les coupures de courant fréquentes du pays les mettent hors service, d'après lui.
Avec le développement du secteur privé, les hôpitaux publics perdent aussi leur personnel médical. Quand il n'est capté par le Royaume-Uni, où les aide-soignants sont bien mieux rémunérés.
"Certains émigrent vers l'Afrique du Sud, d'autres vers la Zambie, d'autres encore vers le Mozambique", décrit le responsable syndical.
Les couloirs de Parirenyatwa sont encombrés de patients et de leurs familles qui déambulent entre des murs à la peinture écaillée, sous des plafonds fissurés.
Les listes d'attente sont longues et ceux qui en ont les moyens vont se faire soigner en Afrique du Sud voisine. Les autres s'adressent à des herboristes.
"De nombreuses personnes craignent à la fois la maladie et ses traitements, ils évitent la chimiothérapie, la radiothérapie et la chirurgie", explique aussi Lovemore Makurirofa, de l'Association zimbabwéenne de lutte contre le cancer.
Le marché émergent des officines de plantes médicinales, popularisées à renfort d'abondante publicité dans la rue, inquiète les hôpitaux car il retarde la prise en charge des malades, d'après eux.
"Lorsque vous demandez aux patients pourquoi ils ont mis autant de temps à venir se faire soigner, ils vous répondent en général qu'ils utilisent des plantes médicinales depuis longtemps", relate l'oncologue Nothando Mutizira.
"Lorsque les patients finissent par venir, ils sont atteints d'un cancer de stade 3 ou 4, plus difficile à traiter, plus coûteux et au pronostic bien plus défavorable", ajoute-t-elle.
L'herboriste qui dirige le centre de Harare où Agnes Kativhu est venue traiter son cancer du sein n'a aucun doute dans ses capacités à soigner.
"Je peux traiter n'importe quel type de cancer", affirme sans hésiter Never Chirimo, 66 ans, se disant également capable de les diagnostiquer grâce aux plantes.
Un autre de ses patients, Wilfred Manatsa, 58 ans, raconte avoir dépensé 25.000 dollars en traitement dans un hôpital privé pour un cancer de la prostate et un sarcome de Kaposi, touchant la peau.
Une intervention chirurgicale aurait coûté 7.000 dollars de plus, il ne les avait pas.