Alors qu'ils avaient promis de rendre le pouvoir aux civils par les urnes en février, les colonels à la tête du Mali depuis un coup d'Etat en 2020 ont manqué à leurs engagements et repoussé l'élection présidentielle à une date indéterminée, au prétexte que le pays en proie aux attaques des groupes terroristes n'est pas encore stabilisé.
Après avoir muselé opposants, journalistes et défenseurs des droits de l'Homme, les autorités militaires ont suspendu les activités des partis politiques début avril et dissous plusieurs associations et coalitions de partis et d'organisations de la société civile qui appelaient à la tenue d'élections.
Mais aux yeux d'une partie des populations maliennes, cette classe politique de plus en plus critique contre le pouvoir, "souffre d'un déficit de crédibilité, dû à la corruption et aux promesses non tenues" sous les précédents régimes, que la propagande des militaires a amplifié, selon Mahamadou Konaté, professeur d'université à Bamako.
La junte mise sur les conclusions du dialogue inter-malien lancé en décembre pour assoir une légitimité de plus en plus contestée et tenter de ramener la paix, après avoir officialisé la fin d'un important accord conclu en 2015 avec les groupes armés du nord.
Les premières recommandations de ce dialogue appellent sans grande surprise à prolonger la durée de la période dite de "transition" et dans certaines régions, à une candidature du colonel Assimi Goïta , leader de la junte, à la future présidentielle.
"Résilience"
Ce "dialogue" boycotté par une majorité de l'opposition est soupçonné de servir de prétexte au régime pour prolonger la transition, mais une frange de l'opinion "estime que les élections ne seraient pas un gage de développement ou d'un quelconque soulagement et n'en voient pas l'urgence", affirme Aly Tounkara, directeur exécutif du Centre des Etudes Sécuritaires et Stratégiques au Sahel, à Bamako.
Malgré la fronde d'une partie de la classe politique rejointe par la coalition désormais dissoute des sympathisants de l'influent imam Mahmoud Dicko (CMAS), autorité tutélaire des manifestations qui avaient précipité la chute du Président Ibrahim Boubacar Keïta en 2020, le régime n'a pas encore connu de contestations populaires d'ampleur.
En janvier, plus de 9 maliens sur 10 se disaient toujours satisfaits de la gestion de la transition, d'après le Mali-Mètre, une enquête d'opinion réalisée par la fondation allemande Friedrich-Ebert-Stiftung principalement dans les grands centres urbains et dans un contexte de répression des voix discordantes.
Si les violences n'ont cessé d'augmenter dans les zones rurales jusqu'au dernier trimestre 2023 selon les dernières statistiques disponibles, la plupart des grandes villes connaissent une relative accalmie depuis l'accession des colonels au pouvoir.
Les réceptions d'équipements militaires russes et turcs, ont renforcé "la perception que les militaires ont une réelle volonté de s'attaquer à ce que les Maliens considèrent comme la priorité numéro un : la sécurité", assure Ibrahim Maiga, analyste pour l'ong International Crisis group.
La rhétorique souverainiste du régime qui a rompu avec ses partenaires traditionnels et s'est tourné vers la Russie, et la prise symbolique de la ville de Kidal (nord) aux mains des groupes armés séparatistes en novembre, permet de "maintenir en éveil une conscience politique et populaire" qui "explique une forme de résilience", ajoute-t-il.
"Pas d'alternative"
"Le mécontentement est beaucoup plus grand qu'on ne le pense, mais les moyens d'expression sont très limités", dans un régime autoritaire, nuance toutefois M. Maiga.
Selon cet analyste, les coupures d'électricité incessantes qui éprouvent les populations soumises à de fortes chaleurs et affectent l'économie et l'emploi, notamment dans le secteur informel, "sont en train d'effriter" l'adhésion des urbains à la junte.
"Les populations se réveillent petit à petit, mais elles ont l'impression qu'il n'y a pas d'alternative", affirme Mahamadou Konaté.
"Beaucoup d'acteurs censément neutres ne le sont pas, y compris parmi les représentants de la société civile, affiliés aux pouvoirs successifs. Il est difficile de trouver des personnalités fédératrices, d'où ce sentiment d'avoir en face de soi un champ vide", souligne Aly Tounkara.