Le président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani arrive pour voter lors de l'élection présidentielle à Nouakchott, en Mauritanie, le 29 juin 2024.REUTERS/Stringer (Others)

Ce n’est pas très lyrique ce qu’il se passe en Mauritanie. Le pays au million de poètes a été momentanément envoûté par les sirènes de la violence. Il a fallu trois morts déclarés pour en venir aux traditionnels appels “au calme et au dialogue” que s’est adressée à elle-même la classe politique, ce qui ramène le pays à la pratique politique courante de ses voisins du Sahel et du Maghreb.

Le calme est revenu, certes, dans les villes mauritaniennes, mais un diagnostic s’impose. Les réserves de sagesse et de pondération seraient-elles en train de tarir sur cette terre de convivialité entre groupes ethniques et cultures africaines ?

L’annonce, lundi dernier, par la Commission électorale de la victoire du président sortant, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, à la présidentielle n’a pas eu le même effet chez toute la population. Pourtant la reconduction pour un deuxième mandat d’El Ghazouani, militaire de carrière, aux commandes de la Mauritanie depuis 2019, était une cause entendue pour tous.

Dans le club du suffrage universel

Aucun incident majeur n’a été signalé durant la campagne électorale ni pendant le déroulement du suffrage lui-même. Et cela n’a rien de surprenant. Les Mauritaniens se sont habitués, au cours des deux dernières décennies, aux consultations référendaires pacifiques. La Mauritanie a eu, certes, son lot de coups d'État de 1978 à 2008, mais peut se glorifier d’avoir, finalement, rejoint le club très restreint de pays africains où la passation de pouvoir entre deux présidents successifs se fait sans heurts.

Dans ce pays où même les putschs militaires se déroulent sans effusion de sang, trois personnes ont été battues à mort à la suite d’arrestations massives, lors de manifestations qui ont dégénéré en violence dans le sud. Les autorités ont reconnu la bavure, mais absous les forces de l’ordre. Des émeutes ont, en outre, éclaté après l’annonce de la victoire du président sortant Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani aux élections présidentielles.

Un communiqué du ministère de l’Intérieur affirme que des “actes de pillage et de vandalisme” ont été enregistrés dans la ville de Kaédi (vallée du fleuve Sénégal), dans la nuit de lundi à mardi. Les forces de sécurité ont dû intervenir pour contenir les foules et interpeller les agitateurs, poursuit le communiqué. L’ordre a été restauré et la circulation redevenue quasi-normale dans les artères de la capitale, mais trois "émeutiers" ont trouvé la mort dans la procédure, deux en détention, le troisième, plus tard, à l'hôpital.

Image ternie

L’escalade fait suite à plusieurs jours de manifestations organisées par les partisans du candidat Biram Dah Abeid, arrivé deuxième au scrutin. Ce leader de l’opposition et militant des droits de l’Homme, crie à la fraude depuis l’annonce des résultats et accuse la commission électorale d’être aux ordres du pouvoir.

"Nous refusons toujours cette mascarade électorale", a-t-il déclaré à la presse mardi soir, appelant les Mauritaniens à "rester debout" et "manifester pacifiquement".

"Ils ne peuvent résoudre la crise que par un dialogue entre eux et nous. Nous sommes prêts. Nous leur tendons la main", a-t-il dit.

Les propos de ce député de 59 ans ont trouvé écho dans le sud de la Mauritanie, mais l’agitation a vite gagné d’autres régions. Des villes comme la capitale Nouakchott et Nouadhibou, dans le nord, ont été le théâtre de heurts entre les forces de l’ordre et de groupes de jeunes en colère.

L’image d’un plébiscite pacifique du deuxième mandat présidentiel a été ternie par des actes de vandalisme et de destruction de biens. Des dizaines de personnes ont été arrêtées à la suite de troubles, parmi lesquelles il y aurait "beaucoup d'étrangers", rapportent des correspondants de médias, citant des sources de la police.

Quant aux causes des décès, le communiqué de l’Intérieur se contente de d’énoncer que les conditions de détention des "émeutiers" étaient dictées par les “circonstances du moment”, à une heure tardive et avec un nombre élevé de manifestants. Deux membres des forces de sécurité ont été gravement blessés, dont un a été admis en soins intensifs, a indiqué le ministère, promettant l’ouverture d’une enquête “transparente et approfondie".

À la croisée des chemins

Le gouvernement se cantonne, pour l’instant, dans une approche sécuritaire et prend soin d’éviter de mentionner le contexte politique de ces troubles révélateurs d’un profond mécontentement d’une partie de la population qui se considère discriminée et sous-représentée.

Les partis de l’opposition dénoncent une “répression sévère” des manifestants et ont mis en garde contre l’enlisement de la Mauritanie dans “une crise politique profonde, que le régime avait tenté de couvrir par des arrestations massives et des enlèvements”. Lors d’une rencontre avec les médias à Nouakchott, en présence de quatre candidats ayant remporté 48% des voix, l’opposition a rendu publique une déclaration conjointe dans laquelle 15 partis rejettent les résultats de l’élection présidentielle et appellent au dialogue pour “sortir le pays de la crise constitutionnelle”.

Crise ou pas crise, le Conseil constitutionnel --dont les décisions sont irrévocables-- a concédé que le candidat El Ghazouani avait recueilli 52% des voix exprimées au premier tour et que les appels des candidats de l’opposition n’ont pas fourni de preuves ou de faits de fraude électorale.

Le traitement qu’il réservera aux foyers de mécontentement décidera, donc, si son pays restera un havre de paix, dans un espace accablé par la violence et les coups d’État. Et les atouts ne manquent pas. Ce vaste pays charnière entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne est doté d’une position stratégique convoitée, sa population de près de cinq millions, majoritairement jeune, est restée indemne aux leurres du terrorisme (aucun attentat n’a eu lieu sur le sol mauritanien depuis 2011) et il s’apprêt à rejoindre les pays exportateurs de gaz naturel.

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