L’avènement des attentats du 11 septembre 2001 avait inauguré le XXIe siècle, d’une manière, on ne peut plus traumatisante, non seulement pour les États-Unis, mais également, et à des proportions plus larges au reste du monde, durant les 20 années suivant les attaques contre le Pentagone et le World Trade Center.
Avec un gouvernement républicain au pouvoir aux États-Unis, et George W. Bush aux commandes du pays, ainsi que l’avènement des néoconservateurs, tous ces facteurs avaient déterminé la réponse américaine sur le plan intérieur, ainsi qu'au niveau de la politique étrangère et militaire.
De la guerre froide à la guerre contre le terrorisme
Après la fin de la guerre froide et le triomphe de la “démocratie libérale“ marquant une certaine “fin de l’histoire“, un ouvrage de Francis Fukuyama est paru. Il évoque la suprématie absolue de l’idéal américain néolibéral en tant qu’horizon indépassable de l’époque, après son triomphe contre le bloc communiste mené par l’Union soviétique.
Dans un monde, désormais unipolaire, et '' après une décennie, post-guerre froide, de désarroi stratégique, les États-Unis retrouvent un ennemi, une doctrine et un objectif pour le moment unipolaire. Face au choc de l’attaque contre Manhattan et le Pentagone, les conseillers et intellectuels néoconservateurs influents sont en effet les seuls à avoir une théorie et un plan d’action ‘délivrable’ '', explique l’historienne et chercheuse Maya Kandel, dans un papier publié par l’Institut Montaigne.
Par action délivrable, les Américains entendent déchaîner leur doctrine guerrière sur la planète pour punir ce que Bush qualifiait dans son discours à la nation de 2002 d' '' Axe du mal '', des régimes qui détiennent ou tentent de détenir (à tort ou à raison) les armes de destruction massive qui, selon l’optique néoconservatrice sont des régimes qui se devaient d’être changés, quitte à utiliser la force, pour éradiquer le terrorisme et instaurer un '' monde plus sûr ''.
Ron Suskind, avait révélé dans un article du journal américain The New York Times, qualifié de “scoop intellectuel“, les propos d’un conseiller de George W. Bush qui définissent la vision américaine (que des observateurs qualifieront d’arrogance, voire d’hubris) dénotant d’une méconnaissance assumée du monde en dehors des frontières américaines.
S’adressant à Suskind à propos de la « judicieuse analyse de la réalité observable », le conseiller s’était exprimé avec les termes suivants : '' Ce n’est plus de cette manière que le monde marche réellement. Nous sommes un empire maintenant, et lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et pendant que vous étudiez cette réalité, judicieusement, comme vous le souhaitez, nous agissons à nouveau et nous créons d’autres réalités nouvelles, que vous pouvez étudier également, et c’est ainsi que les choses se passent. Nous sommes les acteurs de l’histoire. (...) Et vous, vous tous, il ne vous reste qu’à étudier ce que nous faisons ''.
Une telle vision, dans un monde unipolaire où l’hyperpuissance américaine fait loi, portait déjà les graines de l’échec de la conception néoconservatrice qui sera démontrée des années plus tard, comme le constatent plusieurs observateurs.
Islamophobie et stigmatisation
Au bout de plus de 20 années de guerre contre le terrorisme, la question d’un monde plus sûr, argument repris tel un leitmotiv par le gouvernement américain, est loin d’être résolue.
Mais en matière de certitudes, les études et les sondages montrent, sans ambages, la montée d’une islamophobie et d’une montée en épingle des crimes haineux contre les musulmans dans la décennie qui a suivi les attentats du 11 septembre.
Le phénomène a pris une proportion telle que les musulmans vivant en Occident parlent d’un avant et d’un après le 11 septembre.
Et pour cause, leur présence même est sujette à suspicion en tant que menace à la sécurité, en découle les tribunes médiatiques, les mouvements idéologiques et les discours politiques, voire les lois et les procédures sécuritaires, souvent stigmatisants, à l’image d’un entretien de Donald Trump, ancien locataire de la Maison Blanche, accordé à la chaîne américaine d’information ABC, le 22 novembre 2015.
Lors de l’interview avec le journaliste George Stephanopoulos, Trump a affirmé : '' Il y avait des gens qui applaudissaient de l’autre côté du New Jersey, où il y a d’importantes populations arabes. Ils applaudissaient lorsque le World Trade Center s'est effondré. Je sais qu'il n'est peut-être pas politiquement correct que vous en parliez, mais il y avait des gens qui applaudissaient lorsque ce bâtiment s'est effondré ''.
L’enjeu de la question musulmane aux États-Unis a toujours été présent dans le discours populiste du candidat républicain, et ce, malgré une réalité qui contredit totalement ses allégations, qui sont pour le moins conspirationnistes, reprises par des sites de même veine, selon un article du Washington Post de l’époque.
Le décret anti-immigration ''Muslim ban '', promulgué début 2017 par Donald Trump, interdisait l'accès aux États-Unis aux ressortissants de 7 pays à majorité musulmane. La loi avait créé la polémique à l’échelle internationale et avait suscité une longue bataille judiciaire, même dans sa version révisée par Trump.
Si l’islamophobie ne date du 11 septembre, en tant que manifestation de la '' haine des musulmans '', cette date a très certainement, de l’avis de plusieurs spécialistes et universitaires (dont certains font remonter ce phénomène à l’époque des croisades), réactivé une hostilité '' dormante ''.
L'essayiste Fawaz A. Gerges et la professeure Maria do Céu Pinto, ont parlé d’une culture dominante dite '' anti-musulman '' aux États-Unis, dont les origines sont à chercher dans l’après-guerre froide, avec la montée des mouvements extrémistes.
Or, cette '' culture '' nuançait en quelque sorte son discours en faisant la distinction entre islam religieux et islam radical, comme le démontrent les propos d’Edward Djerijian, ancien vice-secrétaire d'État aux affaires du Moyen-Orient, qui expliquait en juin 1992 que '' la religion n'est pas un paramètre positif ou négatif qui explique la nature ou la qualité de nos relations avec les autres nations. Notre problème est dans l'extrémisme, la violence, l'esprit de négation, et la terreur qui l'accompagne ''.
Cette différenciation a volé en éclats après les attentats de 2001.
Un papier du New York Times, datant du 16 septembre 2016, affirme justement que '' Les crimes haineux contre les musulmans américains sont les plus nombreux depuis l’après-11 septembre '', recensant '' des incendies criminels dans des mosquées, des agressions, des fusillades et des menaces de violence ''.
En cause, à l’époque, le discours incendiaire de Trump, qui, selon Brian Levin, directeur du Centre d'études sur la haine et l'extrémisme du campus de San Bernardino, constate '' que ces stéréotypes et déclarations désobligeantes font partie du discours politique ''.
'' En fin de compte, nous parlons d’une augmentation significative de ces types de crimes haineux '', affirme Levin à la suite immédiate des dérapages de l’ancien président.
Quelques années après les attentats Outre-Atlantique, la question de l’islamophobie a été nourrie par les attentats terroristes de Madrid et Londres, et plus tard ceux de Paris, faisant de la question de la présence musulmane en Occident l’un des arguments électoraux majeurs.
Quant à la manière de traiter cette population, qui, pour le cas de la France par exemple, est sujette à plusieurs levées de boucliers quant au traitement réservé par les autorités françaises à sa population de confession musulmane dans les domaines législatif et sécuritaire, sans parler des polémiques autour du voile et du code vestimentaire '' jugé contraire à la laïcité ''.