Quand la Turquie a battu l'Allemagne mi-novembre dans l'Olympiastadion de Berlin, le deuxième but turc est venu de Kenan Yildiz, un natif de Bavière qui, comme nombre de joueurs allemands d'origine turque avant lui, a fait le choix de la "Milli Takim".
Ce soir-là, la victoire 3 buts à 2 des visiteurs a été célébrée par les deux tiers du stade, dans les tribunes couvertes d'une marée de drapeaux turcs rouge et blanc.
Un présage heureux pour l'Euro qui démarre vendredi à Munich ? "Nous jouerons probablement comme à la maison", s'est réjoui Vincenzo Montella, le sélectionneur de l'équipe de Turquie.
L'Italien a dévoilé vendredi soir les noms des vingt-six joueurs turcs retenus pour la compétition.
Parmi eux figurent cinq joueurs nés sur le sol allemand, dont le jeune prodige de la Juventus Kenan Yildiz, Salih Özcan, finaliste de la Ligue des champions avec le Borussia Dortmund, et l'incontournable Hakan Çalhanoglu, capitaine de la sélection et maître à jouer de l'Inter Milan, champion d'Italie 2024.
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"Raisons émotionnelles"Ces joueurs, qui affronteront le Portugal, la Géorgie et la République tchèque dans le groupe F, sont les descendants pour beaucoup des "travailleurs invités" turcs arrivés en Allemagne de l'Ouest dans les années 60 et 70.
Leur choix de porter le maillot de la "Milli Takim", qui ravit les supporteurs turcs, relance régulièrement le débat sur les ratés de l'intégration en Allemagne, où vit la plus grande communauté turque ou d'origine turque de l'étranger, trois millions de personnes environ.
"Le fait qu'ils choisissent la Turquie n'est pas nécessairement le résultat d'une intégration ratée", affirme cependant Ahmet Toprak, professeur à l'Université des sciences et des arts appliqués de Dortmund et auteur de recherches sur le sujet.
Pour lui, ces joueurs au turc parfois hésitant qui, pour certains, "ne connaissent la Turquie que par des cartes postales", font un choix avant tout "émotionnel".
"Le football est un sport émotionnel qui est vécu avec beaucoup plus d'intensité en Turquie qu'en Allemagne (...) Ils choisissent aussi la Turquie parce qu'ils ressentent un lien émotionnel avec ce pays via leurs parents, leurs grands-parents ou leurs proches", analyse Ahmet Toprak, qui souligne également que la Fédération turque "approche activement" les jeunes joueurs d'origine turque.
"Question de respect"Nombre d'Allemands d'origine turque ont eux opté pour la Mannschaft. Le plus célèbre, Mesut Özil, champion du monde 2014, avait renoncé à son passeport turc à sa majorité, avant d'être érigé en symbole d'une Allemagne multiculturelle.
Mais sa carrière a connu un tournant en 2018, après une vive polémique née d'une photo en compagnie du président turc Recep Tayyip Erdogan.
Özil a claqué la porte de la Mannschaft dans la foulée, accusant la Fédération allemande de racisme. "J'ai deux coeurs, un allemand et un turc", déclara-t-il alors.
Ses propos sont entrés en résonance en janvier dernier, lors de l'adoption au Bundestag d'une loi assouplissant les conditions d'obtention de la nationalité allemande et étendant les possibilités de double nationalité.
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"Je crois que ce sentiment d'être Allemand et Italien, ou Allemand et Turc, correspond à la réalité de beaucoup de nos concitoyens. Reconnaître cela est une question de respect", a affirmé le chancelier allemand Olaf Scholz.
John McManus, auteur d'un livre sur le football turc, raconte une anecdote témoignant de ces sentiments d'appartenance multiples.
À la 79e minute d'un match des éliminatoires de l'Euro-2012 opposant l'Allemagne à la Turquie, Mesut Özil inscrit le but du 2-0 pour la Mannschaft. John McManus se trouve à ce moment-là à Kreuzberg, un quartier de Berlin surnommé "la petite Istanbul".
"Dans le bar turc où je regardais le match, des gens se sont mis à insulter l'écran", écrit-il. "Mais d'un coup un homme s'est levé et a applaudi, criant +Bravo!+, aussitôt suivi par d'autres".