Il n'aura passé qu'un peu plus de 8 mois à la tête du Burkina Faso, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Arrivé au pouvoir par un coup d'État le 24 janvier 2022 contre le président Roch Marc Kabore, il a été éjecté du pouvoir le 2 octobre dernier par un putsch perpétré par le capitaine Ibrahim Traoré.
Deux coups d'État en moins d'un an ! 10 Présidents en 62 ans d'indépendance- majoritairement des militaires ! Le moins que l'on puisse dire est que le Burkina souffre d'une instabilité politique chronique. Comment comprendre cette situation ?
L'hydre terroriste et les failles de l'armée
A priori, l'on serait tenté de se demander si les mêmes causes produisent les mêmes effets au Burkina Faso.
Pour justifier son coup de force du 24 janvier 2022 contre Roch Marc Christian Kabore (démocratiquement réélu pour un dernier mandat de cinq ans), le lieutenant - colonel Henri - Paul Sandaogo Damiba avait invoqué l'incapacité du président à arrêter les attaques des groupes djihadistes venus du Mali voisin.
C'est la même raison, mise en avant par le capitaine Ibrahim Traoré pour justifier son coup de force du 2 octobre 2022.
Un argument battu en brèche par le journaliste et essayiste burkinabè Lamine Nourridine Konkobo. "En tout cas, écrit-il sous le nom de plume Aquino d'Sassa, Roch Marc Christian Kabore, président civil, déférait à l'expertise de son armée l’exécution de sa stratégie contre les terroristes.”
“Que cette armée - qui a failli au front contre les terroristes - puisse subitement se considérer comme détentrice de la solution contre les mêmes terroristes par le simple fait d'aller s'installer au palais présidentiel relève d'une logique qui me fait bégayer."
Tout compte fait, de nombreux dysfonctionnements handicapent encore l'efficacité de l'armée burkinabè. L'ex- président Marc Christian Kabore avait expressément commandé un rapport pour comprendre le drame d'Inata où au moins 50 soldats furent tués, victimes d'une attaque terroriste le 14 novembre 2021. Le rapport final de ce drame était censé mettre en lumière les dysfonctionnements de l'armée à l'origine de nombreuses déroutes face aux terroristes.
Malheureusement, le putsch du 24 janvier enterra un rapport pourtant très attendu par la population et potentiellement embarrassant pour l'armée.
Quoiqu'il en soit, les observateurs du microcosme politique burkinabè soulignent "le manque de moyens : équipements aériens, blindés notamment".
De plus, relève un journaliste burkinabè (que nous appelons Jules pour respecter son anonymat) joint à Ouagadougou, "l'armée est divisée en clans. Les chefs militaires et les sous- officiers ne parlent pas le même langage. Ils manquent vraiment de cohésion. "
À cela, il faut mentionner que la chute de l'ancien président Blaise Compaoré, renversé en 2014 par la rue, a profondément fragilisé et divisé le système de défense du pays. "Le système de sécurité du pays était destiné à la protection du régime pour préserver le pouvoir. Il n'avait pas pour vocation la protection des populations et du pays", s'offusque le journaliste burkinabè Jules. C'est dire si l'armée qui devrait incarner un véritable esprit républicain semble être le reflet des divisions socio-politiques qui minent le pays…
Des institutions molles au service des individus
''La constitution et les lois ne comptent pour rien; la corruption, la haine, l'appât du gain facile sont assez ambiants dans nos sociétés, note Lamine Nourridine Konkobo. Au Burkina Faso, il y a au moins trois camps aujourd’hui—les partisans de Compaoré, les partisans du MPP du président Kaboré renversé, et ceux qui pensent que les putschistes sont des messies. Chaque camp souhaite intimement la galère à l’autre quand c’est son tour au palais de Kosyam. L’insolence, l’arrogance et la colère aveugle qui n’alimentent que le chaos sont des vertus aujourd’hui."
Paul- Henri Damiba l'a appris à ses dépens.
Les deux "péchés capitaux " de Paul- Henri Damiba
La relative facilitée avec laquelle Paul-Henri Damiba s'est emparé du pouvoir tient à sa promesse de contenir la menace terroriste.
Influencé par le compagnonnage avec certains hommes politiques, il s'est vite détourné de cette voie. " On l'a vu prioriser la réorganisation de l'administration, la réconciliation des burkinabè" s'offusque Jules.
" Il s'est enfermé, refusant d'écouter ses compagnons d’armes alors que la sécurité devenait préoccupante. L'arrivée de Damiba au pouvoir n'a pas empêché la progression des terroristes. Désormais les djihadistes occupent 40 % du territoire. Des villes comme Nouna, Solenzo, Goro sont tombées entre leurs mains."
Une situation qui a suscité la colère de certains soldats comme le capitaine Ibrahim Traoré qui a souhaité rencontrer le chef d'État d'alors. En vain !
Mais par-dessus tout, une bonne partie de l'opinion publique burkinabè (y compris dans l'armée) n'a pas apprécié l'accueil réservé à Blaise Compaoré, l'ancien président du Burkina chassé par un soulèvement populaire et depuis lors réfugié en Côte d'Ivoire. Condamné le 6 avril 2022 à la perpétuité pour son rôle dans l'assassinat de Thomas Sankara le 15 Octobre 1987, beaucoup ont considéré cette visite comme "une grâce de fait", une "profanation de la mémoire de Sankara", " une prime à l'impunité".
D'où ce conseil prémonitoire de l’essayiste Equiano d'Sassa à l'ancien homme fort du Burkina Faso : "Emprunter le chemin de la forfaiture jusqu'au bout n'est pas une fatalité."
Tourner la page…
Le Burkina Faso a besoin de l'accompagnement de la CEDEAO pour rendre ses institutions fortes, de la communauté Internationale pour viabiliser son armée et surtout des citoyens avisés.
"On ne dirige pas, ne développe pas un pays par un enchaînement de coups d’État: il faut un ordre constitutionnel respecté par tous; une armée républicanisée affectée à la tâche de protectrice du territoire et des institutions. Enfin, une population laborieuse libérée de la fatalité victimaire. Parce qu’après tout, notre situation est le reflet d’une mentalité collective nécessitant une évolution." conclut l'essayiste Equiano d'Sassa.