Le ciel des relations capricieuses entre la France et le Mali s'est assombri davantage le 21 novembre dernier. Ce jour-là Bamako a décidé de bannir les activités de toutes les ONG bénéficiant des financements de la France, y compris celles intervenant dans l'humanitaire.
Un acte qui, visiblement faisait écho à la décision de Paris de suspendre en date du 18 novembre, son aide au développement à ce pays d'Afrique de l'ouest martyrisé par les terroristes.
Jusqu'où ira la défiance entre les deux pays ?
Visiblement ce mauvais vent s'est déjà propagé à des pays comme le Burkina Faso, la République centrafricaine et la Guinée équatoriale, pour se limiter à ces cas. Le sentiment anti-français est réel en Afrique et il s'amplifie au fil des mois. Au Burkina-Faso par exemple, la rue s'est subitement embrasée le 20 novembre dernier. Lors d'une nouvelle manifestation de rue devant l'ambassade de France à Ouagadougou et devant la base des forces spéciales françaises de l'opération sabre à Kamboisin, les protestataires avaient réitéré leur demande du départ des troupes françaises. Paris semble avoir reçu le message, puisque le ministre français des Armées n'a pas exclu la possibilité de revoir la coopération militaire en Afrique.
" Nous travaillons à une organisation du format de nos forces militaires existantes, a révélé Sébastien Lecornu. Elles devraient garder certaines capacités pour protéger nos ressortissants par exemple, mais aussi se tourner davantage vers la formation des armées locales. Il n'est plus question de lutter contre le terrorisme ‘à la place' de nos partenaires, mais de faire avec eux à leurs côtés."
Outre le Mali et le Burkina-Faso, la France a mal à sa coopération avec la République centrafricaine (RCA) et la Guinée équatoriale notamment. L'hostilité contre la France est manifeste. Le 9 novembre dernier, la RCA a mis fin au "décanat", un privilège qui conférait à l'ambassadeur de France, le statut de doyen du corps diplomatique. Un acte loin d'être isolé dans la grisaille des relations entre Paris et Bangui. Le 22 février dernier, alors que le président centrafricain Ange Faustin Touadera revenait d'une visite à l'étranger, quatre soldats français avaient été arrêtés. On leur prêtait l'intention de vouloir attenter à la vie du chef de l'État à l'aéroport de Bangui.
En réalité ces soldats français opéraient dans le cadre des missions de l'ONU. Ils assuraient la sécurité du colonel Marchenoir, le chef d'État-major de la MINUSCA qui, au moment des faits s'apprêtait à voyager via un vol Air France. On avait frôlé un grave incident.
"L'ambassade de France regrette vivement cet incident. Elle condamne son instrumentalisation immédiate sur les réseaux sociaux malveillants et la désinformation grossière à laquelle elle a donné lieu", avait réagi l'ambassadeur Jean Marc Groguerin.
Entre la Guinée équatoriale et la France, les relations se sont aussi sérieusement détériorées. Et pour cause, la Cour de cassation française avait confirmé le 28 juillet 2021 la condamnation du vice-président Theodoro Obiang à trois ans de prison avec sursis dans l'affaire des biens mal acquis en France.
Le sentiment de malaise est donc réel. Aujourd'hui, Il est aussi bien ancré au sein de la jeunesse comme l'illustre un récent sondage d'opinion. Publié le 16 décembre 2020 à la demande de la Ichikowitz Family Foundation, du marchand d'armes sud-africain Ichikowitz, "African youth survey 2020, the Rise of Afro-optimisme" illustre le ressentiment anti-français auprès des 18-24 ans. D'après les résultats de ce sondage d'opinion, les Etats-Unis bénéficient d'une meilleure cote de popularité : 83% auprès des jeunes contre 57 % pour la France. Le Royaume-Uni 82%, la Chine 79%, l'Arabie Saoudite 70%, et même la Russie 68% sont mieux lotis que la France.
Pire, d'après ce sondage, la réputation de Paris est sérieusement entamée auprès des jeunes. Le pays est mal perçu par 71% de Gabonais, 68% de Sénégalais, 60% de Maliens ou encore 58% de Togolais notamment. Comment comprendre ce retour de flamme, ce brusque accès de fièvre anti-français sur le continent ? Des maladresses de la diplomatie française y sont pour quelque chose.
De multiples interventions militaires
Certaines interventions militaires françaises en Afrique ont laissé de profondes cicatrices et titillé l'amour propre des populations africaines. Il en est ainsi de l'intervention militaire française en Côte d'Ivoire en 2011 pour installer le président Allasane Ouattara au pouvoir à la suite d'une présidentielle controversée. Le 11 avril 2011, à la suite des bombardements du palais présidentiel par les forces conjointes de la MINUCI (Mission des Nations-Unies en Côte d'Ivoire) et de la France, l'ancien président ivoirien est extirpé de sa cachette, hébété, apeuré, et débraillé tel un vulgaire personnage. Cette image humiliante hante encore l'inconscient collectif de l'opinion publique africaine et entretient un grand ressentiment contre Paris.
Que dire alors de l'assassinat de Mouammar Khadafi, l'ex-guide libyen ? La France par l'entremise de l'ancien président Nicolas Sarkozy s'est illustré comme l'un des piliers de la coalition occidentale qui a assassiné le guide libyen. Aujourd'hui encore, les circonstances exactes de sa mort le 20 Octobre 2011 à Misrata ne sont pas connues. Certaines vidéos le montraient vivant lors de son arrestation à Syrte, suppliant les soldats de préserver sa vie.
Toujours est-il que des photos d'un corps gisant sur une simple natte à même le sol à Misrata ont circulé. Malgré l'hostilité d'une partie du peuple libyen, Kadhafi était populaire et estimé en Afrique. Les circonstances de sa mort entretiennent un vif ressentiment anti-français. D’ailleurs, beaucoup d'Africains jubilent des malheurs judiciaires de l'ancien président Nicolas Sarkozy, au sujet du financement de sa campagne électorale par des fonds libyens.
Autre point d’achoppement plus antérieur, la mort de Thomas Sankara le 15 Octobre 1987 sous les balles d'un commando à Ouagadougou. On ne connait à ce jour ni les circonstances ni les commanditaires de la mort brutale d'un leader adulé et respecté par tout un continent. On s'interroge encore sur les rôles de Blaise Compaoré (ami du défunt et ancien président burkinabè), Houphouet Boigny (ancien président ivoirien et proche de la France), François Mitterrand (ancien président français). Mais pour l'opinion publique, c'est la France qui est derrière la mort de son "héro".
Enfin "les responsabilités accablantes" de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda en avril 1994 est une tâche sombre dans la mémoire collective de beaucoup d'Africains.
Et que dire alors de l'impact des écrits et productions de beaucoup d'intellectuels africains proche de la gauche ?
La caution des intellectuels de gauche …
Les œuvres de ces intellectuels nourrissent la mémoire et le sentiment d'injustice. Elles ont exhumé et mis en exergue les dessous des relations insolites entre les anciennes colonies et la France.
Dans son essai "La France contre l'Afrique" publié en 2006 à Paris aux éditions La Découverte, l'auteur camerounais Mongo Beti, de regretté mémoire, remet en question le bien-fondé de la coopération française en Afrique. La France, d'après cet auteur très respecté sur le continent, a apporté un soutien décisif aux dictateurs et entravé toute "perspective d'une prise en charge autonome de leur propre développement par les populations africaines". L'auteur prône alors, la remise en question du système qui sous-tend la domination française dans ses anciennes colonies.
Dans la même lignée, l'économiste et homme politique ivoirien Mamadou Coulibaly ausculte ce système de domination dans son ouvrage " Les servitudes du pacte colonial", paru aux éditions Céda à Abidjan en 2005. Le livre, d'après son auteur, est une " compilation de tous les accords "taillés sur mesure" en faveur de la France et tenus secrets par les gouvernants africains, pour découvrir la face hideuse de la codification de l'exploitation de ces richesses par la métropole". Et l'auteur de souligner que les pays africains francophones " ont acquis une indépendance sur papier mais dans les faits, ils sont restés tous dépendants" vis à vis de la France.
Bien avant Mamadou Coulibaly, l'économiste camerounais Joseph Tchundjan Pouemi avait mis en exergue le rôle nocif du système du Franc CFA en Afrique. Un système monétaire qui en substance est destiné d'après l'auteur, à drainer les ressources des pays membres de cette zone vers la France au détriment des États africains. En décembre 2004, Joseph Tchundjan Pouemi mourrait à Douala dans des circonstances demeurées mystérieuses jusqu'à ce jour. Pour autant ses idées continuent de prospérer et beaucoup d'intellectuels prônent une réelle autonomie monétaire. Avec un système du Franc CFA profondément remanié, hors de portée de la France. Ce serait alors la fin de ce que l'économiste ivoirien Nicolas Agbohou considère comme le "nazisme monétaire". Un vaste chantier en effet, la normalisation des relations entre la France et ses anciennes colonies !!