Par Awa Cheikh Faye et Gaure Mdee
Il y a 16 ans disparaissait celui que beaucoup considèrent comme l’un des maîtres du septième art sur le continent africain.
Ousmane Sembene était un écrivain, réalisateur, acteur, scénariste et dramaturge, majeur de l'Afrique contemporaine, né en 1923 et disparu le 09 juin 2007.
Arrivé au cinéma sur le tard, après s’être essayé avec succès à la littérature, Sembene utilise son art pour parler à et de son peuple, des turpitudes de l’Afrique post coloniale, des rêves et des errements des états nouvellement indépendants, de racisme, d’oppression, de la condition des femmes ou des ouvriers etc.
Ses films sont aujourd’hui une source d’inspiration pour de nombreux cinéastes africains.Le scénariste, réalisateur et producteur de films Tanzanien Amil Shivji a découvert l’œuvre du maître à l’université.
"Et ce que j'ai vu devant moi, c'était ma culture, mon peuple et des expériences que je considère comme proches de chez moi."
Paver la voie
"J'ai immédiatement trouvé une affinité avec ses films et j'ai commencé à suivre son travail, à étudier son cinéma qui résume vraiment les luttes, les joies et les peurs du peuple africain et l'art africain. J'ai tout de suite su que je voulais suivre la même voie et raconter des histoires honnêtes sur les communautés marginalisées du continent, en particulier en Tanzanie" poursuit-t-il.
Artiste engagé, Ousmane Sembene n'a jamais cessé de dénoncer les injustices sociales en Afrique et ailleurs dans la littérature comme au cinéma.
Le réalisateur Amil Shivji explique que Sembene était connu pour ses cinémas mobiles où il projetait ses films dans tout le pays et veillait à ce que chaque village ait la possibilité de les voir.
"Il s'assurait que les films parviennent aux bonnes personnes et que les bons yeux aient accès à ses œuvres. Pour moi, c'est un rappel du type d'histoires que nous devons raconter sur le continent, pour qui nous devons les raconter et pour nous rappeler que nous sommes en charge de nos destinées."
L’œuvre du réalisateur sénégalais donne à voir une Afrique au-delà des clichés, "ce que nous appelons aujourd'hui la production d'impact est essentiellement ce qu’il faisait dans les années soixante" précise Amil Shivji.
Panafricain
Son premier long-métrage, La noire de, réalisé en 1966 est couronné par le Prix Jean Vigo.
Dans une interview consécutive à cette distinction, Ousmane Sembene disait faire du cinéma pour s’ "adresser aux hommes pas seulement de chez moi, mais d’ailleurs par rapport à des problèmes qui nous préoccupent tous. Les problèmes des pays en voie de développement, les problèmes du passé, du présent et de l’avenir."
Il est l'auteur de nombreux romans et nouvelles parmi lesquels Le Docker noir inspiré de son expérience de docker à Marseille.
Les Bouts de bois de Dieu publié 1960 raconte l’histoire de la grève des cheminots de la ligne de chemin de fer qui reliait Dakarà Bamako entre 1947 et 1948.
S’en suit en 1968 Le Mandat, Prix de la critique internationale au Festival de Venise cette année-là.
Il est l’auteur du film Camp Thiaroye qui dénonce le massacre de Tirailleurs sénégalais par des officiers français en 1944 au camp militaire de Thiaroye, dans la banlieue de Dakar la capitale sénégalaise. A sa sortie le film est d’ailleurs censuré en France.
Son dernier film sorti en 2004, Moolaadé, a remporté le Prix du meilleur film étranger décerné par la critique américaine, le Prix « Un certain regard » à Cannes, et le prix spécial du jury au festival international de Marrakech.
Ousmane Sembene a laissé derrière lui une œuvre riche d'une dizaine de romans et d’essais ainsi qu’une quinzaine de film.
Le dernier film d'Amil Shivji, Vuta Nk'vute, est un reflet direct des enseignements tirés de Sembene, mettant en lumière la révolution et la rébellion de la côte orientale de Zanzibar.
"Ses films résonnent en moi jusqu'à aujourd'hui, ils me donnent le courage et sont presque un tremplin pour les cinéastes de mon genre, de ma génération, pour qu'ils aient la capacité de raconter ces histoires, et pas seulement parce qu'elles doivent être racontées, mais aussi pour qu'elles touchent les bonnes personnes" conclut Amil Shivji.