Par Firmain Eric MBADINGA
Ce qui n'aurait dû être, au pire, qu'une querelle de village nécessitant une médiation locale s'est transformé en un feu de forêt de méfiance entre les communautés d'agriculteurs et d'éleveurs du pays à travers les provinces, entraînant souvent des affrontements sanglants et des pertes de vies humaines.
Dans leur quête de solutions visant à résoudre de manière pacifique et inclusive le conflit qui oppose éleveurs aux agriculteurs du Tchad, le gouvernement tchadien et les Organisations non gouvernementales ont mis en place de nombreux projets et programmes d’aide, d’autonomisation et de sensibilisation dans le pays.
Ces programmes sont destinés à l'ensemble des populations, plus particulièrement les communautés impliquées.
Parmi ces nombreux projets figure celui de la “Consolidation de la paix et de la sécurité entre les communautés d'agriculteurs et d’éleveurs dans les provinces du Salamat, du Sila et du Ouaddaï'' qui a été lancé en Novembre 2021 et qui prend fin dans cinq mois selon le calendrier initial.
Et, le 13 juillet dernier, ce projet a entamé sa phase de formation sur le ‘’Concept Caisse de Résilience’’.
Le projet global prévoit en effet la mise en place de ‘’90 caisses de résilience’’ destinées à accompagner 2,700 ménages, dont 1890 hommes et 810 femmes, dans leurs activités d’élevage et d’agriculture.
Les bénéficiaires sont formés, leurs projets seront financés mais également suivis pour optimiser leur chance de réussite économique. La même approche a déjà fait ses preuves en Centrafrique, pays qui a, lui aussi, été éprouvé par des conflits communautaires (2013-2014).
Au Tchad, le gouvernement, exécute ce projet avec l'appui technique et financier de partenaires telles que la Fond des Nations Unies pour l’alimentation ou encore le Fonds des Nations Unies pour la consolidation de la paix.
Des affrontements recurrents
Les conflits intercommunautaires sont récurrents dans certaines provinces du Tchad. Dans un rapport publié en juillet 2021, l’ONU a annoncé que les affrontements intercommunautaires dans ce pays avaient fait 309 morts et 182 blessés, plus de 6 500 déplacés au cours de la même année.
En 2022, ce sont au moins 36 cas de violences communautaires qui ont été rapportés dans le pays. Le sud enregistre 56% des conflits communautaires, avec une forte proportion (90%) pour la gestion des ressources naturelles, notamment entre agriculteurs et éleveurs.
Ces conflits sont en grande partie liés au fait que les éleveurs sont en quête de nouveaux pâturages nécessaires pour la survie de leurs bétails.
L’étude réalisée par les Nations Unies, à travers le Bureau de la Coordination des affaires Humanitaires (OCHA), indique, à ce sujet, que la partie sud du Tchad, au climat plus clément et à la végétation plus abondante, attire depuis longtemps les éleveurs des zones sahéliennes désertiques du nord, et est une région de transhumance.
Efforts de réconciliation
Le projet "Consolidation de la paix et de la sécurité entre les communautés d'agriculteurs et d’éleveurs dans les provinces du Salamat, du Sila et du Ouaddaï'' a été officiellement lancé par le ministre de l’Économie, le Dr Issa Doubragne et la Coordonnatrice résidente des Nations unies Violette Kakyomya.
À l’occasion du lancement de ce projet qui touche à la fois le social et l’économie, le ministre tchadien avait affirmé qu' "au nom du gouvernement, nous sommes déterminés à travailler avec le système des Nations Unies pour promouvoir la cohabitation pacifique entre les communautés afin de résoudre ce conflit intercommunautaire qui endeuille des familles et divise nos communautés et sape les efforts du gouvernement dans la quête de réunir toutes les filles et fils du Tchad autour d’une table et de vivre en paix".
Une déclaration qui explicite une fois de plus les ambitions des autorités locales et des partenaires susmentionnés.
Afin de traduire ce projet en actes, l'ensemble des partenaires, c'est-à-dire la la FAO, PNUD, PAM et l’OIM et le gouvernement du Tchad, ont réuni pas moins de 3,5 millions de dollars.
Et pour garantir une bonne lecture de ce projet, le bureau des Nations unies au Tchad a résumé ses objectifs en 7 éléments spécifiques.
Parmi ces objectifs, on peut citer le ‘’renforcement de la résilience des communautés spécifiquement face aux conflits agriculteurs-éleveurs pour la cohésion sociale, en intégrant une approche basée sur les droits de l’homme’’
Ce sous-objectif renvoie au lancement de la formation du 13 juillet dernier qui a eu pour but de doter les acteurs d'outils afin de mieux structurer leurs activités d'élevage ou d'agriculture.
L'ONU décrit ce point comme étant un ''levier important de consolidation des liens sociaux entre agriculteurs et éleveurs.’’
Il y a également l’accès équitable aux ressources naturelles ainsi que l'amélioration de la législation qui figurent parmi les objectıfs du projet.
Le but étant d'actualiser la loi sur le pastoralisme au Tchad qui date de 1959.
Réactions positives
Abdelrahım Oumar Agadı Atim de la société civile tchadienne accueille favorablement "toute action contribuant à instaurer la paix entre les populations ".
'' Les questions de sécurité et de développement économique de mon pays comptent tellement pour moi que j'ai choisi comme thème de mon mémoire Les défis de la Stabilité politique en Afrique : Cas du Tchad'' , précise ce Tchadien basé aux Etats-unis à TRT AFRIKA.
Abdelrahım Oumar Agadı Atım encourage "la valorisation du partenariat international économique pour définir des solutions intelligentes, durables, graduelles aux problèmes endémiques et endogènes qui minent la consolidation de la paix au Tchad depuis son indépendance. "
Le projet présenté par les Nations Unis aux côtés du gouvernement tchadien, Abdelrahim Oumar Agadı Atim dit en avoir pris connaissance et se réjouit de son évolution progressive sur le terrain.
Celui qui est également Coordinateur National du projet North American Chadian Initiative (NACI)/Ambassadeur Tchad, a essayé d'évaluer le projet à quelques mois de son terme.
''Dans sa première approche, le programme des Nations-unies a montré des résultats palpables par le biais de la mise en place du système d’alerte dans la région-est, le programme des ateliers de formation des auxiliaires pénales, la définition des couloirs de transhumance’’ conclut Abderrahim Oumar Agadi Atim.
Pour Dr EDMIAUNE ZOUGA, le projet'' s'inscrit dans la recherche des moyens de prévention et de résolutions, qui demeurent les instruments d’assurance d’une véritable sécurité et de paix telles que garanties par les droits de l’homme ''.
Pour l'experte en gouvernance et en règlement de conflits, en plus du renforcement de la résilience entre les deux catégories sociales que sont les cultivateurs et éleveurs, il faudrait à terme et de façon pratique, qu'un aménagement des droits des cultivateurs et des éleveurs soit effectif et vulgarisé.
L’étape de le "mise en place du concept 'Caisse de résilience' pour consolider la coexistence pacifique au Salamat" lancée le 13 juillet, constituent donc une phase importante de la concrétisation du projet qui vise à faire régner la paix entre les deux communautés.
La poursuite du projet suscite beaucoup d'espoirs chez les populations et la société civile.
Asma Gassim présidente et fondatrice de l’Association Lamy-Fortaın (ancien nom de la capitale tchadienne (N'Djamena), pense que le projet du gouvernement et des Nations Unies est "louable". Son contenu devrait être respecté par toutes les parties, souligne -t-elle.
'' Quand nous, on grandissait, on n'entendait jamais parler de ce genre de conflit. Il faut que chacun apprenne à vivre avec l'autre et à respecter son espace de liberté'', dit-elle à TRTAFRIKA.
Asma Gassi s'est félicité des efforts de tous les acteurs actifs sur le champ socıo-politique au Tchad pour une paix durable et pratique entre agriculteurs et éleveurs.