Par Alphonce Shiundu
Une population jeune ayant accès aux réseaux sociaux et ayant une affinité pour les utiliser comme principale source d'informations est sujette à être les victimes d'un débat public pollué dans le monde entier, en particulier pendant les élections.
Cela fait désormais partie du quotidien de voir des champions des réseaux sociaux se livrer à des tactiques de désinformation pour salir leurs adversaires et polluer le débat public sur des questions essentielles. Et l'Afrique ne fait pas exception.
Ces activités se multiplient au cours des différentes périodes électorales et font partie de la panoplie des campagnes électorales.
Le 25 février, près de 96 millions d'électeurs nigérians se rendront dans les bureaux de vote pour choisir leur prochain président lors de la première élection du continent à être suivie de près cette année.
Le Nigeria possède une communauté très active sur les réseaux sociaux. Les campagnes politiques dans le pays utiliseraient les influenceurs des réseaux sociaux pour séduire les jeunes électeurs.
Des élections sont également prévues dans quatre autres pays africains : la Sierra Leone en juin, le Zimbabwe en juillet ou août, le Liberia en octobre et la République démocratique du Congo en décembre. Tous ces pays ont une énorme population jeune, et un nombre croissant d'entre eux ont accès aux réseaux sociaux.
Mais que peuvent faire ces pays pour que leur environnement politique soit moins pollué par les campagnes de désinformation?
Voici dix leçons du Kenya
1) Comprendre les acteurs : Qui sont les personnes qui diffusent de fausses informations ? Le font-ils pour un candidat politique ou sont-ils des indépendants disponibles pour le plus offrant ? Quelles sont leurs motivations ? Travaillent-ils ensemble pour répandre des faussetés dans le discours public sur des questions politiques, ou sont-ils des loups solitaires ? Un examen approfondi des contenus à la mode sur les réseaux sociaux et une recherche intelligente sur les réseaux sociaux à l'aide d'outils ouverts peuvent aider à identifier les marchands de désinformation politique.
2) Déterminez les tendances : Quel type de contenu publient-ils, et quelles plateformes utilisent-ils ? La désinformation passe-t-elle principalement par des images ou des graphiques manipulés, ou utilise-t-elle des vidéos fausses ou trafiquées ? Les fausses informations sont-elles publiées sur Twitter, Tiktok, Facebook ou Instagram, ou sont-elles diffusées subrepticement via WhatsApp ou Telegram ? L'évaluation des contenus polarisants et des sujets tendances peut révéler ces schémas et informer les réponses stratégiques.
3) Prébunking : Pour se prémunir contre la prolifération de fausses informations, il est utile de prendre de l'avance en amplifiant les informations exactes sur les questions clés. Par exemple, Africa Check, une organisation de vérification des faits opérant au Nigeria, a déjà préparé un portail contenant des informations rapides sur les prochaines élections, notamment un guide sur le financement des campagnes et même des sondages d'opinion. Elle a fait de même pour les élections kenyanes.
4) Projets collaboratifs d'intégrité de l'information : Les médias, les journalistes et les vérificateurs de faits sont censés diffuser des informations exactes pour permettre aux électeurs de prendre des décisions éclairées sur les élections. Le Kenya a mis en place le projet de journalisme collaboratif Fumbua ; le Nigeria a créé une coalition de vérificateurs de faits. Travailler ensemble pour lutter contre la désinformation politique permet de briser le cycle de la désinformation, de réduire sa propagation, voire d'amplifier les informations exactes.
5) Le dialogue : La désinformation politique est souvent polarisante et, si elle n'est pas traitée, elle peut facilement déclencher la violence. Un dialogue ouvert sur les questions qui divisent et avec les personnalités publiques importantes de la campagne, y compris les candidats politiques, sur les risques d'une rhétorique politique violente et les dangers de la désinformation politique peut aider à mettre une certaine hygiène politique dans le débat public.
6) Responsabilité des plateformes : Les plateformes de réseaux sociaux ont leur propre modèle économique et leurs propres objectifs sociaux. La société civile devrait s'associer à ces plateformes pour les alerter sur la désinformation virale et nuisible dans des pays spécifiques afin de contribuer à sécuriser l'écosystème de l'information électorale. En outre, les utilisateurs de réseaux sociaux doivent signaler activement les contenus qui violent les règles des plateformes et, lorsqu'ils constatent un comportement inauthentique coordonné, ils doivent alerter les plateformes pour que ces réseaux soient perturbés. Enfin, les plateformes qui font peu pour sécuriser l'environnement de l'information doivent être publiquement interpellées.
7) Plaidoyer : Les médias et la société civile doivent demander activement aux acteurs clés de l'environnement de l'information de maintenir l'honnêteté du débat public. Ils peuvent recenser les mensonges qui circulent dans les campagnes électorales et dénoncer les pourvoyeurs de fausses informations. Ils doivent également mener des campagnes d'alphabétisation numérique pour apprendre aux électeurs comment repérer et arrêter la circulation de fausses informations.
8) La vitesse : Les fausses informations se propagent plus vite et plus loin que les informations exactes. Pendant les élections, il est primordial que les fausses informations soient vérifiées et démystifiées dès qu'elles apparaissent en ligne. La vérification rapide des faits et l'amplification des informations exactes interrompent le cycle de la désinformation politique. Il ne sert à rien de remettre les pendules à l'heure une fois l'élection passée, surtout s'il s'agit d'une fausseté qui fait basculer l'élection.
9) Le silence stratégique : Parfois, la désinformation politique est diffusée pour appâter la réaction des médias, la réaction des rivaux ou l'agitation de la société civile. L'objectif est souvent d'amplifier le débat sur des sujets marginaux et de les faire passer dans le courant dominant. Il est utile de vérifier le contexte et d'évaluer soigneusement la désinformation politique avant de proposer une réponse. Certaines faussetés peuvent être ignorées ou traitées sans amplifier les discours inexacts.
10) Renforcement des institutions : Les organes de gestion des élections dans différents pays sont souvent la cible d'attaques de crédibilité. Ces attaques réduisent la confiance du public dans les gestionnaires des élections et, par conséquent, affectent la perception de la transparence et de l'ouverture. Le renforcement de la résilience de ces institutions en matière d'information, y compris l'amélioration de la capacité à vérifier les faits, à déboulonner, à pré-boulonner et à répondre aux faussetés concernant le processus ou les personnes impliquées, contribue à protéger la crédibilité des arbitres des élections.
Bien que cette liste ne soit pas exhaustive, elle peut contribuer à limiter le flux de désinformation politique, à maintenir l'honnêteté du débat public et à garantir une hygiène politique raisonnable pour que les électeurs puissent prendre des décisions éclairées lors des élections.
(Alphonce Shiundu est le rédacteur national d'Africa Check au Kenya et le vice-président national de Fumbua, un projet de journalisme collaboratif formé pour combattre les fausses informations au Kenya)