Des tirs et raids aériens ont secoué la capitale Khartoum dans la nuit et la matinée, comme c'est le cas quotidiennement depuis le 15 avril, le bilan humain atteignant plus de 330 morts et 3.300 blessés.
Les contacts diplomatiques s'étaient pourtant intensifiés jeudi: le général Abdel Fattah al-Burhane, chef de l'armée et chef de facto du Soudan depuis le putsch de 2021, a annoncé avoir été contacté par des dirigeants régionaux, notamment sud-soudanais ou éthiopiens et internationaux, en particulier le patron de l'ONU, Antonio Guterres, et le secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken.
Tous ont plaidé pour un arrêt des combats contre les paramilitaires des Forces de Soutien Rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo, son numéro deux depuis le putsch, pour l'Aïd al-Fitr qui marque la fin du jeûne du ramadan.
Les FSR elles-mêmes ont annoncé "leur accord pour une trêve de 72 heures" à 04H00 GMT pour donner un répit aux Soudanais toujours pris sous les feux croisés. Mais, comme c'est le cas à chaque fois depuis plusieurs jours, ces annonces n'ont pas été suivies d'effet.
Au même moment, le général Burhane apparaissait pour la première fois depuis le début des hostilités le 15 avril à la télévision d'Etat. Comme les années précédentes, il s'est adressé à la nation pour l'Aïd, sans jamais mentionner une quelconque trêve.
"Notre pays saigne"
"Pour l'Aïd cette année, notre pays saigne: la destruction, la désolation et le bruit des balles ont pris le pas sur la joie", a-t-il dit. "Nous espérons que nous sortirons de cette épreuve plus unis (...) une seule armée, un seul peuple (...) vers un pouvoir civil", a-t-il ajouté. Jusqu'ici, comme son rival, le général Daglo, il n'avait parlé qu'à des médias et ne s'était pas adressé directement aux 45 millions de Soudanais.
Khartoum, elle, entame une septième journée sous le fracas des raids aériens, des explosions et des combats de rue. Ces tirs incessants ont fortement endommagé de nouveaux hôpitaux jeudi, rapporte le syndicat des médecins. Quatre d'entre eux ont été touchés à al-Obeid, à 350 km au sud de Khartoum.
"On aimerait que les combats s'arrêtent pour l'Aïd, mais on sait que ça n'arrivera pas", déclarait jeudi à l'AFP Abdallah, un habitant de la capitale.
Après une réunion avec le président l'Union africaine et d'autres dirigeants internationaux, "tous convaincus qu'une trêve est urgente au Soudan", le chef de la diplomatie américaine a appelé les deux généraux rivaux pour tenter une nouvelle fois de négocier une pause dans les combats, principalement concentrés à Khartoum et au Darfour (ouest).
Au même moment, les Etats-Unis annonçaient dépêcher des militaires au Soudan pour faciliter une éventuelle évacuation de leur ambassade, alors que l'aéroport est fermé depuis samedi et que les chancelleries appellent leurs ressortissants à se signaler tout en évitant tout déplacement.
Dans la capitale, de nombreuses familles ont épuisé leurs dernières victuailles et n'ont plus ni électricité ni eau courante. Le réseau téléphonique, lui, e fonctionne plus que par intermittence.
Femmes et enfants, majoritairement, se pressent sur les routes pour fuir, entre check-points des FSR et de l'armée et cadavres qui jonchent les bords de route.
Depuis que la lutte de pouvoir, latente depuis des semaines entre les deux généraux, s'est transformée en bataille rangée, les civils ont aussi fui en nombre à l'étranger: 10.000 à 20.000 personnes, surtout des femmes et des enfants, sont passés au Tchad voisin, selon l'ONU.
Militaires américains déployés
Les deux côtés multiplent les annonces de victoire et s'accusent mutuellement, des affirmations impossibles à vérifier sur le terrain tant le danger est permanent.
L'armée de l'air, qui vise les FSR disséminées dans les zones résidentielles, n'hésite pas à larguer des bombes, parfois au-dessus d'hôpitaux, ont témoigné des médecins.
"70% des 74 hôpitaux de Khartoum et des zones touchées par les combats ont été mis hors d'usage", selon leur syndicat: bombardés, ils n'ont plus aucun stock pour opérer ou bien des combattants en ont pris le contrôle, chassant médecins et blessés.
Les humanitaires ont pour la plupart été forcés de suspendre leur aide après que trois employés du Programme alimentaire mondial (PAM) ont été tués.
"Ni Burhane ni Daglo n'ont l'air de vouloir céder, la situation pourrait encore empirer", prévient déjà le centre de recherche International Crisis Group (ICG).
"Un conflit de longue durée serait la ruine du Soudan", le troisième producteur d'or d'Afrique et pourtant l'un des pays les plus pauvres du monde où plus du tiers de la population a faim, ajoute ICG.
"Même si l'armée reprend finalement la capitale et que Daglo se retire au Darfour, une guerre civile peut tout à fait s'ensuivre", poursuit le centre.
Et avec elle, "une possible déstabilisation dans les pays voisins: le Tchad, la Centrafrique, la Libye et le Soudan du Sud déjà touchés à des échelles diverses par la violence".